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ARTICLE 1764

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif - Inscriptions

Immeuble sorti, en vertu d’un acte publié, du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau

Discordance obligeant le conservateur à rejeter la formalité

Arrêt de la Cour de cassation ( 3ème Chambre civile ) du 12 juin 1996

Faits : Les circonstances de l’affaire ont été exposées dans le Bulletin sous l’article 1698 auquel le lecteur est invité à se reporter.

Il y est relaté et commenté un arrêt de la Cour d'appel de Paris ayant, le 10 mai 1994, statué sur un appel formé à la fois par la banque P... et les héritiers de notre collègue H... .

Par cet arrêt, les appelants ont été condamnés in solidum à payer à Mme M... 90.000 F de dommages-intérêts ainsi que la somme de 20.000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au conservateur, il a été fait grief de ne pas s’être opposé à la prise par la banque P... de deux inscriptions provisoires d’hypothèque judiciaire requises contre l’un de ses débiteurs, M. S... .

Ces inscriptions, en effet, étaient venues charger un lot de copropriété correspondant à un appartement. Or, cet appartement, selon les documents déjà publiés, appartenait à Mme M..., laquelle, en conséquence, n’aurait pu réaliser le projet qu’elle avait formé de vendre son logement pour en acheter un autre.

A la banque, il était reproché de ne pas avoir consenti immédiatement à la mainlevée des inscriptions en cause lorsqu’elle a appris qu’elles grevaient indûment le bien de Mme M... .

C’est dans ce contexte que les héritiers de M. H... se sont pourvus en cassation, ce qui a provoqué un pourvoi incident formé par la banque B ..où il a été vainement soutenu que les juges d’appel n’avaient pas caractérisé le lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Quant au pourvoi principal, il a, lui aussi, été rejeté et ce, par les motifs reproduits ci-après :

" Sur le moyen unique du pourvoi principal

Attendu, selon l’arrêt attaqué ( Paris, 10 mai 1994), que, suivant un acte notarié du 16 octobre 1984, M. S... a vendu un appartement aux époux M...- M...; que, devenue seule propriétaire de ce bien à la suite d’un divorce, Mme M... s’est engagée, le 14 juillet 1991, à le vendre aux époux R... et à acheter un autre appartement; qu’il est apparu que l’appartement de Mme M... était grevé de deux hypothèques judiciaires provisoires prises successivement les 12 mars et 5 août 1991 (1) à la requête de la banque P... en garantie d’une créance à l’encontre de M. S...; que soutenant que ces inscriptions, prises indûment, l’avaient empêchée de réaliser les opérations envisagées, Mme M... a assigné la banque P... et le conservateur du bureau des hypothèques, en réparation de son préjudice;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt de condamner, in solidum, les héritiers du conservateur avec la banque P... à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, d’une part, que le conservateur des hypothèques ne peut refuser le dépôt d’un acte dont la publicité est requise, ou rejeter la formalité que dans les cas limitativement prévus par la loi, c’est-à-dire, notamment, en cas de discordance entre les mentions relatives à l’identité des parties ou à la désignation de l’immeuble et les énonciations contenues dans les bordereaux des titres déjà publiés; qu’il est toutefois spécifié par le décret du 14 octobre 1955 qu’il n’y a pas discordance, justifiant le rejet, lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire a cessé de produire effet en raison d’un acte ou d’une décision de justice postérieure;

qu’il s’ensuit que le changement d’identité du propriétaire du lot n° 16 n’était pas de nature à révéler une discordance emportant le pouvoir pour le conservateur des hypothèques de rejeter la formalité; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé les articles 2148 du code civil et 34-2 du décret du 14 octobre 1955; d’autre part, que la responsabilité du conservateur des hypothèques ne pouvait être engagée que si la faute reprochée avait effectivement été à l’origine de l’échec du projet de vente de Mme M... : que, pour affirmer que l’inscription d’hypothèque litigieuse avait empêché Mme M... de réaliser cette vente avant la mainlevée, la cour d’appel s’est fondée sur une lettre du bénéficiaire de la promesse qui avait renoncé à l’acquisition en en déduisant que " rien ne démontre que celui-ci n’ait pas donné suite à cet acte pour des motifs purement personnels "; qu’en laissant ainsi incertaine la question de savoir si le bénéficiaire de la promesse de vente avait renoncé en raison de motifs purement personnels ou en raison de l’inscription d’hypothèque litigieuse, la cour d’appel n’a pas caractérisé le lien de causalité entre la faute et le préjudice, entachant par là même son arrêt d’un défaut de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ";

Mais attendu, d’une part, que la Cour d’appel a exactement retenu, par motifs adoptés, que le conservateur des hypothèques devait s’assurer de la concordance du document déposé et des documents publiés antérieurement, le titre de Mme M..., dernier titulaire au sens de l’article 32, paragraphe 1 du décret du 14 octobre 1955, n’ayant pas cessé de produire ses effets postérieurement à sa publication au fichier immobilier au moment de l’inscription de l’hypothèque;

Attendu, d’autre part, qu’ayant relevé que, compte tenu de la lettre écrite le 7 septembre 1991 par le bénéficiaire de la promesse, rien ne démontrait que celui-ci n’ait pas donné suite à cet acte pour des motifs personnels, et que l’indication du propriétaire figurant aux ordonnances des 12 mars et 5 août 1991 étant manifestement erronée puisque le lot n° 16 n’appartenait plus depuis de nombreuses années au débiteur de la Banque, le conservateur devait rejeter la formalité de l’inscription, la cour d’appel a pu en déduire qu’en ne le faisant pas, le conservateur des hypothèques avait commis une faute professionnelle se trouvant dans un lien de causalité directe avec le préjudice dont se prévalait Mme M..., et a légalement justifié sa décision de ce chef;

"Sur le moyen unique du pourvoi provoqué :

"PAR CES MOTIFS

Rejette les pourvois;

Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi;

Condamne, ensemble, Mme S... (2), les consorts H... et la banque P... à payer à Mme M... la somme de 8.000 F en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

OBSERVATIONS :

Ainsi, les héritiers de M. H..., qui, après avoir repris l’appel formé par leur auteur avaient été condamnés par la Cour de Paris, ont également échoué en cassation. Et pourtant, comme il a été exposé dans l’article 1698 du Bulletin, la position adoptée par le conservateur était indéniablement celle voulue par les auteurs des dispositions réglementaires régissant la matière.

En effet, les deux décisions juridictionnelles remises successivement à notre collègue, ainsi que les bordereaux qui les accompagnaient, désignaient M. S... comme étant le propriétaire grevé. C’était lui, dès lors, qui, comme il est dit au b du 1 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955, était indiqué dans le document à publier comme " ayant la qualité de disposant ou de dernier titulaire, au sens du 1 de l’article 32 ".

Or, selon les informations ressortant tant du registre public que du fichier immobilier qui en est l’abrégé, M. S... s’était vu reconnaître dans une attestation de transmission par décès publiée le 7 septembre 1984 la propriété du lot 16.

Il était donc satisfait à la condition de la publicité préalable du titre du disposant imposée par l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 et c’eût été ajouter aux prescriptions de cet article que d’exiger, en outre, avant d’achever l’exécution de la formalité, que ce titre soit demeuré actuel.

Au conservateur, une telle exigence ne pouvait qu’apparaître illicite alors surtout que, d’une part, elle aurait enlevé tout intérêt à l’emploi de l’adverbe " utilement " figurant dans la première phrase de l’article 2147 du code civil (3) et que d’autre part, elle avait été formellement écartée par l’addition faite au 2 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955 par l’article 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967.

Mais cette logique n’a pas été celle de la Cour de cassation qui a considéré que le dernier titulaire au sens de l’article 32, paragraphe 1, du décret du 14 octobre 1955, n’était pas M. S... mais Mme M... à qui l’addition déjà citée, expressément invoquée dans le pourvoi, ne pouvait pas être opposée, son titre " n’ayant pas cessé de produire ses effets postérieurement à sa publication au fichier immobilier au moment de l’inscription d’hypothèque ".

De là, il a été induit que " l’indication du propriétaire figurant aux ordonnances des 12 mars et 5 août 1991 étant manifestement erronée puisque le lot n° 16 n’appartenait plus depuis de nombreuses années au débiteur de la Banque, le conservateur devait rejeter la formalité de l’inscription ".

Ainsi, pour le Haute juridiction, seule la personne à qui, d’après le fichier immobilier, appartient actuellement l’immeuble qui va être hypothéqué doit être regardée comme celle dont le droit se trouve grevé, ou est susceptible de l’être, par l’inscription requise. Par suite, si ce n’est pas cette personne qui est désignée dans le bordereau, il y a une discordance que le conservateur doit relever et qu’il est tenu de notifier à titre de cause de rejet.

Il ne peut, dès lors, qu’être conseillé à nos collègues de se diriger de la sorte sauf, toutefois, à adopter le parti contraire lorsqu’il s’agit de sûretés prenant rang à une date antérieure à la fois au jour de leur inscription et à celui de la publication du changement apporté à la personne du propriétaire.

En effet, lorsqu’il en est ainsi, le disposant ou dernier titulaire est la personne à qui, selon le fichier immobilier, l’immeuble grevé, alors appartenait.

Rapprocher : Bull. A.M.C., art. 709, 719, 761, 859, 1452 et 1698.

(1) En réalité, 15 mars et 9 août, mais cette erreur est sans conséquence.

2) Veuve de notre collègue

(3) Selon le premier alinéa de l’article 2147 du code civil, dans sa rédaction issue de l’article 21 du décret du 4 janvier 1955, " les créanciers privilégiés ou hypothécaires ne peuvent prendre utilement inscription sur le précédent propriétaire, à partir de la publication de la mutation opérée au profit d’un tiers. Nonobstant cette publication le vendeur, le prêteur de deniers pour l’acquisition et le copartageant peuvent utilement inscrire, dans les délais prévus aux articles 2108 et 2109, les privilèges qui leur sont conférés par l’article 2103 ".