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ARTICLE 1452

PUBLICITE FONCIERE.

Effet relatif des formalités. - Inscription
Titre du disposant ayant cessé de produire effet en vertu d'un acte publié postérieurement à la publication dudit titre.
Situation visée au 2 de l'article 34 du décret du décret du 14 octobre 1955 dans sa rédaction issue de l'article 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967.
Absence de cause légale de rejet.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE BASTIA (Chambre civile) DU 9 AOUT 1989

Faits. - Par un jugement en date du 9 juillet 1987, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a remarqué que parmi les différents immeubles dépendant d'un même lotissement (1) sur lesquels portait l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire en cause, le lot 35 avait été vendu par le débiteur suivant un acte déjà publié au jour de l'inscription ; il en a été déduit qu'il y avait une discordance entre le document déposé et le document publié et il a été considéré qu'en terminant l'exécution de la formalité, le conservateur avait commis une faute et porté un préjudice au propriétaire actuel du lot déjà cité. Les premiers juges, en conséquence, ont condamné à la fois le créancier et notre collègue à payer in solidum, outre les frais de mainlevée, 10.000 F de dommages-intérêts.

(1) Figurant au cadastre de la commune de P... avec les références suivantes : section A, nos 1130, 1131, 1132 et 853.

Statuant sur l'appel interjeté contre ce jugement, la Cour d'Appel de Bastia a, le 9 août 1989, rendu un arrêt mettant le conservateur hors de cause par les motifs rapportés ci-après :

" Sur l'obligation du Conservateur,

"Attendu qu'est applicable à l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire le principe défini à l'article 3 du décret du 4 janvier 1955 qui énonce qu'aucun acte ou décision judiciaire soumis à publicité ne peut être publié au fichier immobilier si le titre du disposant ou dernier titulaire n'a pas été préalablement publié ; que le disposant ou dernier titulaire est défini à l'article 32-1 du décret d'application du 14 octobre 1955 comme s'entendant de la personne dont le droit se trouve transféré, modifié, confirmé, grevé ou éteint - ou est susceptible de l'être - avec ou sans son consentement par la formalité dont la publicité est requise ;

"Attendu que la qualité de dernier titulaire pour l'inscrivant J... appartenait à la société civile immobilière B... qui a été formellement désignée dans le bordereau comme propriétaire des biens grevés, pour en avoir ait l'acquisition suivant acte du 6 mars 1972, en l'étude de M A..., notaire à V..., publié le 25 avril 1972 ;

"Qu'il incombait au conservateur de vérifier la relation ainsi établie par le créancier entre le bordereau qui était déposé et un titre déjà publié ;

"Attendu, en effet, que l'article 34 du décret du 14 octobre 1955 dispose que "le conservateur s'assure de la concordance du document déposé et les documents publiés depuis le 1er janvier 1956, tels qu'ils sont répertoriés sur les fiches personnelles ou les fiches d'immeubles en ce qui concerne :

a) la désignation des parties,

b) la qualité de disposant ou de dernier titulaire au sens du 1 de l'article 32, de la personne indiquée comme telle dans le document déposé" ;

"Attendu que cette vérification a été faite au vu de la fiche personnelle de la SCI B..., que l'intitulé de la fiche porte une raison sociale semblable à celle indiquée dans le bordereau ;

"Attendu qu'il y avait équivalence au vu des documents produits (acte notarié du 25 avril 1972 comprenant l'état descriptif de division en trois lotissements, cadastre du 3 juillet 1972) au plan de l'identification cadastrale des parcelles concernées entre la référence 853 et 854 et celles section A, n° 1130, 1131, 1132 et 853 ;

"Qu'ainsi, la formalité publiée le 25 avril 1972 concernait la même personne et le même immeuble que celui mentionné dans le bordereau déposé le 15 octobre 1974 et que le conservateur ne pouvait que constater la concordance ;

"Attendu cependant que la fiche d'immeuble propre au lot 35 dépendant du lotissement "Les Arbousiers" faisait apparaître que le lot avait été vendu à E... par acte reçu par le même notaire A... le 2 juillet 1973, publié le 2 octobre 1973 et qu'il en résultait que l'acte du 6 mars 1972 avait cessé pour la S.C.I. B... de valoir titre de propriété pour ce lot ;

"Mais attendu que cette situation est expressément prévue à la deuxième phrase du 2 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955 suivant laquelle "il n'y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire au sens du 1 de l'article 32, a cessé postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d'un acte ou d'une décision ultérieurement publiée " ;

"Que cette disposition est issue de l'article 2 du décret du 22 décembre 1967, avec un caractère obligatoire qui ne peut être contesté en invoquant un précédent concernant un litige régi par le dispositif antérieur à cette disposition ;

"Attendu qu'il est donc certain suivant le rapprochement des deux fiches qu'il y avait, d'une part, concordance entre le titre déjà publié et celui de la société désignée comme le propriétaire de l'immeuble grevé qui était la S.C.I. B... ; que la disposition concernant l'absence de discordance ajoutée à l'article 34 par l'article 2 du décret du 22 décembre 1967 n'avait point d'effet rétroactif de sorte que la jurisprudence citée dans les conclusions de E... concerne un litige né d'une inscription prise près de 3 ans avant la publication de cet article 2 et que la modification qui en est résultée ne pouvait pas être invoquée dans ce cas pour légitimer un non-rejet de demande d'inscription d'hypothèque ;

"Attendu que, compte tenu des textes en vigueur dans l'espèce présente, le conservateur, sauf à excéder ses pouvoirs, ne pouvait que formaliser le bordereau déposé le 14 octobre 1974 dans l'intérêt de M. J. qu'il n'a pas méconnu les devoirs de sa charge dont il s'est exactement acquitté, qu'il n'était pas en mesure de prétendre à une procédure de rejet ;

"Attendu que P..., conservateur, n'a donc pas commis de faute pouvant engager sa responsabilité et que l'hypothèque litigieuse a été inscrite sous la seule responsabilité du créancier J..., qui seul peut être tenu à réparer tous dommages subis par E... du fait de l'hypothèque et surtout de son maintien après la sommation qui lui a été faite le 15 septembre 1977".

Observations. - L'intimé, comme il l'avait soutenu avec succès en première instance, persistait à faire grief au conservateur ayant accepté le dépôt de l'inscription litigieuse d'avoir terminé l'exécution de la formalité alors que, selon lui, une procédure de rejet aurait dû être engagée. Mais l'appelant, pour se justifier, avait fourni les copies des fiches qu'il avait à l'époque consultées et annotées, en invitant la Cour à s'appuyer sur ces documents pour rapprocher les diligences qu'il avait faites des obligations lui incombant en l'état des dispositions réglementaires en vigueur. Cette démarche a été suivie dans les motifs reproduits ci-dessus : elle a conduit, tout d'abord, à reconnaître que l'effet relatif avait été exactement contrôlé puisque la SCI B..., à qui le bordereau en cause attribuait la qualité de disposant, figurait au fichier comme propriétaire notamment du lot 35 dépendant de l'ensemble immobilier grevé pour avoir fait acquisition de cet ensemble "suivant acte du 6 mars 1972, en l'étude de Maître A..., notaire à V..., publié le 25 avril 1972" ; il a ensuite été constaté que d'après le même fichier, ce lot "avait été vendu à E... par acte reçu par le même notaire A..., le 2 juillet 1973, publié le 2 octobre 1973, et qu'il en résultait que l'acte du 6 mars 1972 avait cessé pour la SCI B... de valoir titre de propriété pour ce lot" ; or cette situation est précisément celle prévue à la deuxième phrase du 2 de l'article 34 modifié du décret du 14 octobre 1955 qui décide expressément que dans ce cas, il n'y a pas discordance si bien qu'en formalisant le bordereau, le conservateur, loin de méconnaître les devoirs de sa charge, s'en est au contraire exactement acquitté. Ainsi l'adjonction apportée audit article 34 par l'article 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967 s'est révélée imparable ; elle avait d'ailleurs été regardée par ses auteurs comme seulement interprétative parce que énonçant une règle résultant nécessairement du principe qui veut que les conservateurs ne soient pas juges de la validité des actes (Bull. A.M.C.. art. 709) ; celle logique, toutefois, n'est pas apparue aux magistrats de Bastia comme ayant pour les usagers du service de la publicité foncière la force de l'évidence ; en effet pour refuser de condamner M. E... à payer des dommages-intérêts au conservateur, la Cour d'Appel a remarqué qu'il pouvait croire son adversaire "responsable d'une faute professionnelle, ayant pu se méprendre sur le mécanisme complexe et délicat du régime des inscriptions hypothécaires, à l'encontre d'une inscription qui faisait grief à ses droits".

Annoter - Bull. A.M.C., art. 719 et 761

Rapprocher. - Bull. A.M.C., art. 1439 (deuxième question).