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Art. 1698

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif

Inscriptions

Immeuble sorti, en vertu d'un acte publié, du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau

Intégration dudit bordereau au registre public jugée illégale et fautive, d'abord en première instance, puis en appel

Conduite à tenir

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS ( 1ère chambre, section A ) DU 10 MAI 1994

Par cet arrêt, la Cour de Paris a statué sur une action en responsabilité formée contre un conservateur, M. H.., puis après son décès, poursuivie contre ses ayants-droit. La plaignante, Mme M... reprochait au conservateur ainsi qu'à la banque PARIBAS de n'avoir pu réaliser le projet qu'elle avait formé et qui était de vendre son logement afin d'en acheter un autre.

Elle faisait grief à M. H... de ne pas s'être opposé à la prise par PARIBAS de deux inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire requises sur un lot de copropriété constitué par un appartement qui, d'après les documents déjà publiés, n'appartenait plus au débiteur, M. S.., mais était devenu sa propriété.

Comme l'avait fait le tribunal de grande instance de Paris, dans le jugement attaqué, mais contrairement à la position adoptée le 9 août 1989 par la Cour de Bastia dans une situation analogue (Bull. A.M.C., art1452.), les juges d'appel ont décidé que le conservateur des hypothèques devait, en tout état de cause, s'assurer que les biens et droits immobiliers sur lesquels il lui était demandé d'inscrire la sûreté et qui étaient présentés comme "appartenant" à M. S.. étaient bien la propriété de celui-ci.

Aussi, PARIBAS et les héritiers de M. H... ont-ils été condamnés in solidum à payer 90ÿ000ÿF de dommages-intérêts à l'intimée.

Au soutien de cette décision, la Cour a raisonné comme il est rapporté ci-après :

Considérant en effet que l'article 54 du code de procédure civile alors en vigueur indiquait que l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire doit être opérée sur présentation de l'ordonnance et sur le dépôt des deux bordereaux visés par l'article 2148 du code civil;

Que le texte précise que chacun de ces deux documents contient "sous peine de rejet de la formalité, la désignation du créancier, du débiteur ou du propriétaire...";

Que l'indication du propriétaire figurant aux ordonnances des 12 mars et 5 août 1991 étant manifestement erronée puisque le lot n° 16 n'appartenait plus depuis de nombreuses années au débiteur de la banque, le conservateur devait donc rejeter la formalité de l'inscription ou, à tout le moins, y surseoir jusqu'à l'obtention d'une ordonnance rectificative;

Qu'en ne le faisant pas, M. H... a donc commis une faute professionnelle qui se trouve dans un lien de causalité directe avec le préjudice dont se prévaut Mme M.. ;

Considérant en effet, que s'il avait agit dans les conditions prévues à l'article 2148 du code civil, M H... n'aurait fait que se conformer aux dispositions de ce texte applicables en cette matière ainsi qu'aux règles de sa profession telles qu'indiquées par les premiers juges."

Observations : En réalité, c'est s'il avait choisi le parti contraire et donc s'il avait empêché les inscriptions que le conservateur aurait manqué à ses devoirs, faute d'avoir la possibilité d'invoquer une disposition législative ou réglementaire sur la publicité foncière l'autorisant, soit à refuser le dépôt, soit à notifier une cause de rejet de la formalité.

Comme il est de règle, lors de la remise des documents à publier, leur réceptionnaire, avant d'en faire la mention sur le registre des dépôts, laquelle est prévue à l'article 2150 du code civil, s'est assuré qu'il n'existait entre les ordonnances et les différentes rubriques du bordereau, aucune variante touchant en particulier, à la désignation des parties, à celle de l'immeuble sur lequel l'inscription est requise, enfin, au montant des sommes garanties. Mais ces vérifications matérielles marquent les limites de ses obligations légales. La consultation du fichier n'est pas obligatoire à ce stade.

Au surplus, à supposer qu'en l'espèce elle ait été faite et qu'ainsi, il ait été constaté que l'immeuble grevé avait été vendu, cette constatation, de toute façon, ne permettait pas de passer outre aux prescriptions édictées à l'article 2150 déjà cité. Elle n'ouvrait aucun droit à s'abstenir de mentionner les bordereaux sur le registre des dépôts.

Le refus du dépôt n'aurait été justifié que dans l'hypothèse où les ordonnances n'auraient pas eu toutes les apparences de décisions juridictionnelles rendues dans les formes légales.

Aussi, le conservateur serait-il manifestement sorti de son rôle légal si, pour refuser les inscriptions, il s'était immiscé dans l'appréciation de leur efficacité en soutenant que les droits d'hypothèque dont elles sont le signe public sont frappés de nullité parce que grevant un bien n'appartenant plus au débiteur.

Au moment des annotations faites au fichier, c'est-à-dire lorsque les pièces remises le même jour que les bordereaux y furent répertoriées, M. H... a constaté que le disposant, M. S.., a été reconnu propriétaire du lot 16 dans une attestation de propriété après décès dressée le 11 juillet 1984 et publiée le 7 septembre de la même année.

De là, il ne pouvait que déduire qu'était accomplie l'unique condition mise par l'article 3 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 à l'application du principe dit de l'effet relatif (1).

En décidant le contraire, ce conservateur aurait fait une fausse application dudit article 3 en y ajoutant une condition qui n'y figure pas et qui consisterait à exiger en outre que la publication du titre n'ait pas été contredite par une formalité ultérieure publiant le changement de titulaire du droit.

En même temps, il se serait rendu coupable d'une transgression flagrante de la dernière phrase du paragraphe 2 de l'article 34 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 (ajoutée à ce paragraphe par l'article 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967) aux termes de laquelle, "il n'y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire au sens du 1 de l'article 32, a cessé, postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d'un acte ou d'une décision ultérieurement publiée".(2)

C'est pourquoi, en plein accord avec le comité de contrôle et de contentieux, les ayants cause de M. H..., tout en exécutant l'arrêt les condamnant, ont décidé de ne pas y acquiescer.

Ils se sont pourvus en cassation en soutenant en tout premier lieu que leur auteur n'a pas commis la faute professionnelle qui lui est reprochée.

Dans l'attente de la décision à intervenir, il est vivement conseillé aux conservateurs de continuer à ne pas s'opposer à des inscriptions prises sur des biens immobiliers sortis, en vertu d'un acte publié, du patrimoine du "propriétaire grevé".

Il leur est seulement loisible, s'ils l'estiment à propos, de signaler, dans une note annexée à celui des bordereaux dont il est fait retour à l'inscrivant, que d'après le fichier, l'immeuble qui y est désigné n'est plus la propriété du débiteur.

Nota : L'arrêt attendu a été rendu le 12 juin 1996; il emporte rejet du pourvoi en considérant que Mme M..(et non Mme S..) est le "dernier titulaire" et que son titre "n'a pas cessé de produire ses effets postérieurement à sa publication au fichier immobilier au moment de l'inscription de l'hypothèque". Les conséquences à tirer de l'interprétation ainsi donnée au paragraphe 1 de l'article 32 du décret du 14 octobre 1955 seront exposées dans le prochain numéro du bulletin.

(1) Ce principe a une portée générale. Il régit les inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire. C'est ce qui a été jugé dans l'arrêt de cassation du 13 mai 1987 reproduit et commenté à l'article 1368 du bulletin de l'association.

(2) Cette adjonction a été voulue par ses auteurs comme ayant un "caractère purement confirmatif" ( Voir l'instructions du 31 décembre 1971, BO 10 B-1-72, page 57 ).