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ARTICLE 1789

PUBLICATIONS D’ACTES

TAXE DE PUBLICITE FONCIERE

Conventions soumises à publicité
Changement de régime matrimonial ayant pour effet de conférer la qualité de bien commun à un immeuble appartenant en propre à l’un des époux
Modification ainsi apportée à la situation juridique dudit immeuble devant être obligatoirement publiée en application du 1 de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955
Taxe de publicité foncière due au taux de 0,60%

Arrêt de la Cour de cassation du 10 février 1998

(Chambre commerciale, financière et économique)

Faits : Dans une convention notariée conclue par deux époux et homologuée par le tribunal de grande instance de leur domicile, il a été convenu de substituer le régime matrimonial de la communauté universelle à celui de la communauté réduite aux acquêts ;

Aussi, y a-t-il été constaté qu’un immeuble appartenant en propre à l’un des époux était devenu commun ;

Cette convention ainsi que le jugement l’ayant homologuée, ont été publié au bureau des hypothèques de la situation de l’immeuble et le conservateur a alors perçu, outre le salaire proportionnel, la taxe de publicité foncière liquidée sur l’évaluation donnée à ce bien.

Cette taxe départementale, fixée au taux de 0,60%, a été majorée de 2,50% pour frais d’assiette et de recouvrement.

Elle a donc abouti à un prélèvement de 0,615% qui, comme il est prévu à l’article 1705 du code général des impôts, a été acquitté par le notaire ayant à la fois rédigé la convention et mis au rang de ses minutes la copie exécutoire du jugement d’homologation.

Toutefois, un an plus tard, cet officier ministériel, usant de la dispense de mandat accordé au troisième alinéa de l’article R 197-4 du livre des procédures fiscales, a demandé au directeur départemental des services fiscaux la restitution de la taxe qu’il avait versée mais qui selon lui, n’était pas légalement due.

Puis, cette demande ayant été rejetée, son auteur, le 25 octobre 1993 a, par voie d’assignation, saisi le tribunal de grande instance de Nice qui, dans un jugement du 18 avril 1995, l’a débouté par les motifs reproduits ci-après :

" Attendu qu’aux termes des § 1 et 4 de l’article 677 du code général des impôts, les décisions judiciaires sont passibles d’une imposition proportionnelle ou progressive lorsqu’elles portent sur des droits soumis à publicité foncière, en application du par 1er de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955 ;

" Que l’article 678 du même code précise que lorsqu’elles ne se trouvent ni exonérées, ni tarifées par aucun autre article, ces décisions judiciaires sont soumises à une imposition proportionnelle au taux de 0,60% ;

" Attendu que la convention de changement de régime matrimonial par lequel les époux adoptent le régime de la communauté universelle doit être, une fois homologuée par jugement, publiée au bureau des hypothèques compétent, dans la mesure où les immeubles détenus en propre par chacun des époux, ou appelés à l’être, transfèrent à l’autre époux, sur ce bien devenu commun, des droits réels immobiliers tels que visés au § 1er a de l’article 28 précité ;

" Que cette publication se trouve donc soumise à l’imposition proportionnelle de 0,60% prévue par l’article 678 du code général des impôts ;

" Attendu que l’adoption du régime de communauté universelle n’a pas pour effet de transférer à l’autre époux la propriété de la moitié de l’immeuble, mais d’entraîner un changement de statut de cet immeuble qui justifie que la taxe de 0,60% soit calculée sur sa valeur ;

" Attendu qu’il échet, dans ces conditions, de débouter Maître S...de ses demandes et le condamner aux dépens; ...." 

Se fondant sur ces motifs, le tribunal de Nice déclara expressément qu’il statuait en premier ressort; mais en réalité, son jugement était sans appel (1) et pouvait seulement être attaqué par voie de cassation.

C’est ce recours que Me S... exerça; il forma un pourvoi mais celui-ci fut rejeté par un arrêt du 10 février 1998 dont les motifs et le dispositif sont les suivants :

" Sur le moyen unique :

" Attendu, selon le jugement attaqué ( tribunal de grande instance de Nice, 18 avril 1995 ) qu’à l’occasion de la publication au bureau compétent de la conservation des hypothèques, d’une convention matrimoniale modifiant le régime primitif et adoptant celui de la communauté universelle, M. S..., notaire, a acquitté la taxe de publicité foncière, dont il ultérieurement demandé la restitution; que cette requête a été rejetée et que le tribunal n’a pas accueilli la demande d'annulation de la décision administrative de refus ;

" Attendu que M. S... reproche au jugement d’avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, qu’aucun impôt n’est dû s’il n’est pas expressément prévu par un texte, qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’assujettit la publication d’un régime matrimonial à la taxe de publicité foncière ;

" Que l’article 663 du code général des impôts dispose notamment que donnent lieu à perception de la taxe de publicité foncière, sous réserve de l’article 665, les décisions, actes et documents visés aux articles 28, 35, au 2° de l’article 36 et à l’article 37 du décret du 4 janvier 1955; que l’article 665 du code général des impôts ne soumet à la taxe de publicité foncière que les actes et décisions judiciaires exclus du champ d’application de la formalité fusionnée qui constatent des mutations à titre gratuit et les baux de douze ans; qu’en vertu des dispositions de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, sont obligatoirement publiés au bureau des hypothèques tous actes et toutes décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers; qu’il résulte des articles 1525 et 1526 du code civil que les avantages qui peuvent être retirés par les époux des règles relatives aux régimes matrimoniaux ne constituent pas des donations, ni quant au fond, ni quant à la forme; que la convention portant adoption par les époux d’un régime de communauté universelle, qui ne procède d’aucune intention libérale, et le jugement qui l’homologue, n’emportent pas mutation ni au profit du patrimoine de la communauté universelle, celle-ci étant dépourvue de la personnalité morale, ni au profit du patrimoine de chacun des époux, le bien propre qui devient commun demeurant dans le patrimoine de l’époux propriétaire d’origine sans dessaisissement; qu’en l’absence de toute mutation, la convention portant adoption du régime de la communauté universelle et le jugement qui l’homologue exclus du champ d’application de la formalité fusionnée par l’effet des dispositions de l’article 647 du code général des impôts, sont, en vertu de l’article 665 du même code, dispensés du paiement de la taxe de publicité foncière; qu’ils n’entrent pas davantage dans le champ d’application de l’article 663 du même code, n’étant pas au nombre des actes visés à l’article 28 du décret du 4 janvier 1955; qu’ils ne peuvent en conséquence être assujettis aux droits institués aux articles 611 et 678 du code général des impôts; que c’est à tort et au prix d’une violation, par fausses application, des articles 663, 677 et 678 du code général des impôts et de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955, que le Tribunal, tout en constatant que l’adoption d’un régime de communauté universelle n’a pas pour effet de transférer à l’autre époux la propriété de la moitié de l’immeuble, au motif infondé et contradictoire qu’une telle convention transférerait à l’autre époux sur lesbiens devenus communs des droits réels immobiliers tels que visés au premier alinéa de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955, refusé de prescrire la restitution de la taxe de publicité foncière qui avait été exigée à tort ;

" Mais attendu que le jugement retient, à bon droit, que la convention de changement de régime matrimonial portant adoption de la communauté universelle doit être, une fois homologuée par le tribunal de grande instance, publiée au bureau des hypothèques compétent, dans la mesure où un tel changement a pour effet de conférer aux immeubles propres de l’un des époux le statut d’immeubles communs et d’attribuer ainsi sur ces biens des droits réels dont il se trouvait initialement dépourvu; que cette mutation de droits immobiliers rentre ainsi dans les prévisions de l’article 28, 1er alinéa, a, du décret du 4 janvier 1955; qu’il s’ensuit que sont dus les droits perçus à l’occasion de cette formalité; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. S... aux dépens " 

Observations : Les décisions juridictionnelles rapportées ci-avant ont été rendues à la suite d’une demande de restitution de la taxe de publicité foncière perçue lors de la publication d’un changement de régime matrimonial ayant conféré la qualité de bien commun à un immeuble qui, jusqu’alors appartenait en propre à l’un des époux.

Il s’agit donc de décisions relevant du contentieux fiscal, lesquelles, de ce fait, sont en règle générale, considérées comme étrangères aux sujets traités dans le présent bulletin.

A cette règle, cependant, il apparaît parfois possible de déroger.

Il en est ainsi, par exemple, lorsque les articles du C.G.I. déterminant l’assiette de l’impôt litigieux renvoient pour la définir à des dispositions législatives ou réglementaires propres à la publicité foncière.

C’est le cas en l’espèce où, pour justifier la régularité de la perception contestée, le conservateur, d’abord, l’Administration ensuite se sont fondées sur, notamment, le 2° de l’article 663 et sur le 1° de l’article 677 de ce code.

Or, il est renvoyé dans la première disposition citée aux articles 28, 35, au 2° de l’article 36 et de l’article 37 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 modifié et dans la seconde, au a du 1° de l’article 28 du même décret.

Au soutien de son pourvoi, Me S... a reproché au jugement attaqué d’avoir par fausse application, violé les articles de loi et de règlement retenus pour former la base légale de la perception contestée.

Conjointement, ce plaideur, se plaçant dans l’éventualité où la fausse application invoquée ne serait pas reconnue, a revendiqué la dispense du paiement de la taxe de publicité foncière, accordée au second alinéa de l’article 665.

Sur la fausse application des règles de droit

La taxe de publicité foncière a été perçue au taux de 0,60% sur la valeur réelle, estimée au jour de la publication, de l’immeuble propre devenu commun.

Cette perception a été validée par le tribunal de Nice qui a considéré que le document remis au conservateur était au nombre des actes dont la publicité est rendue obligatoire par le a du 1° de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955.

En effet, s’il entrait vraiment dans cette catégorie, sa publication donnait ouverture à la taxe de publicité foncière puisque selon le 2° de l’article 663 du C.G.I., elle doit être exigée sur tous les documents visés notamment à l’article 28 déjà cité.

En outre, selon le 1° de l’article 677 de ce code, cette taxe doit être liquidée au taux proportionnel lorsqu’elle frappe non pas l’un quelconque des articles énumérés à l’article 28 mais l’un de ceux visés au a du 1 de cet article où il est énoncé ce qui suit :

"  Sont obligatoirement publiés au bureau des hypothèques de la situation des immeubles : 1° Tous actes, mêmes assortis d’une condition suspensive, et toutes décisions judiciaires, portant ou constatant entre vifs : a) Mutation ou constatation de droits réels immobiliers, autres que les privilèges et les hypothèques... ".

Enfin à l’article 678, il est prévu que lorsque les actes " ne se trouvent ni exonérés, ni tarifés par aucun autre article du présent code ", ce qui est le cas, le taux applicable est celui de 0,60% ;

Le demandeur n’a discuté ni l’existence ni les conséquences de ce dispositif; il s’est borné à soutenir que le juge du fond l’avait faussement appliqué.

A cette fin, il lui a fait grief d’avoir à la fois d’une part, admis que l’adoption du régime de la communauté universelle n’a pas eu pour résultat de transmettre à l’autre époux la propriété de la moitié de l’immeuble ameubli et, d’autre part, ce qui serait contradictoire, considéré que cette convention lui a transféré sur ce bien commun "  des droits réels immobiliers tels que visés au premier alinéa de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955 " ;

Mais ce reproche n’était pas justifié; au contraire, la distinction ainsi opérée traduisait fidèlement les modifications apportées à la situation juridique de cet immeuble.

En réalité, en devenant commun, le propre de l’un des époux a changé de statut; sur ce bien qui n’avait qu’un seul maître, le mari et le femme détiennent désormais des pouvoirs égaux qui s’exercent concurremment sur la totalité et non sur une quote-part dudit bien.

Ces pouvoirs procèdent nécessairement des déplacements ayant eu pour objet les attributs reconnus à tout propriétaire et qui sont les droits de disposer de l’immeuble, d’en percevoir les fruits et de s’en servir.

Aussi, le juge de l’impôt ne pouvait-il qu’être amené à constater qu’il y avait eu la mutation de droits réels immobiliers, envisagée par les dispositions du a du 1° de l’article 28, et à en tirer pour conséquence que c’était en vertu de ces dispositions que la convention d’adoption de la communauté universelle avait été publiée au bureau des hypothèques.

De là, compte tenu des trois articles du C.G.I. susrappelés, il était nécessairement conclu qu’à l’occasion de l’exécution de cette formalité, la taxe de publicité foncière était due et devait être liquidée au taux de 0,60%.

Telle est la démarche que la Cour de cassation a formellement approuvée en déclarant que le changement de régime matrimonial en cause "  a pour effet de conférer aux immeubles propres de l’un des époux le statut d’immeubles communs et d’attribuer ainsi sur ces biens à l’autre époux des droits réels dont il se trouvait initialement dépourvu; que cette mutation de droits immobiliers rentre ainsi dans les prévisions de l’article 28, 1er alinéa, a, du décret du 4 janvier 1955. "

Sur la dispense du paiement de la taxe de publicité foncière

Cette dispense, lorsqu’elle a été invoquée d’abord devant le tribunal de Nice, puis au soutien du pourvoi, avait un caractère subsidiaire.

Elle tendait, en effet, à soutenir qu’en tout état de cause et donc même si, ce qui a été le cas, l’erreur de droit incriminée n’était pas retenue par l’autorité judiciaire, l’article 665 du code général des impôts faisait obstacle à la perception de la taxe de publicité foncière sur une convention portant changement de régime matrimonial.

Aux termes de cet article, "  les dispositions sujettes à publicité foncière des décisions judiciaires et des actes exclus du champ d’application de la formalité fusionnée sont soumises au droit d’enregistrement; à l’exception de ceux qui constatent des mutations à titre gratuit ou des baux de plus de douze ans, ces décisions et actes sont dispensés du paiement de la taxe de publicité foncière lors de la formalité de la publication ".

Or, une convention de changement de régime matrimonial n’est pas assujettie à la formalité fusionnée; elle relève du régime prévu pour les contrats de mariage par l’article 847-II du code général des impôts; elle donne donc ouverture au droit fixe d’enregistrement de 500 F fixé audit article, lequel, en vertu des dispositions combinées des articles 245 et 60 respectivement des annexes III et IV de ce code, est payé sur états.

Aussi, Me S... s’était-il fondé sur le second alinéa de l’article 665, pour prétendre qu’en l’espèce, la taxe de publicité foncière n’aurait pu légalement s’ajouter au paiement de ce droit que si dans l’acte, il était convenu un bail de plus de douze ans ou une mutation à titre gratuit.

Cette condition, bien évidemment, n’était pas remplie : l’adoption de la communauté universelle n’a aucun rapport avec la conclusion d’un bail et elle n’a pas non plus le caractère d’une libéralité; même si elle est assortie de la clause d’attribution intégrale au survivant, l’article 1525 du code civil précise que, dans cette stipulation, il n’y a pas donation,  "  ni quant au fond, ni quant à la forme ".

Ces évidences, toutefois, n’avaient aucune importance car la situation de fait était étrangère au champ d’application de l’article 665 qui, comme il ressort du premier alinéa dudit article, concerne les documents où ce sont " les dispositions sujettes à publicité foncière " qui "  sont soumises au droit d’enregistrement ".

Or, le droit fixe de 500 F perçu sur les contrats de mariage est un droit d’acte dont le fait générateur est la rédaction matérielle de l’écrit ainsi dénommé et non les conséquences juridiques des dispositions qu’il renferme;

La prétendue dispense reposait donc sur une argumentation totalement inopérante qui, tant par le tribunal de Nice que par la Cour de cassation, a été écartée de manière implicite mais certaine.

 (1) En matière de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes ou contributions, le double degré de juridiction a été institué par l’article 112 de loi de finances pour 1997, n° 96-1181 du 30 décembre 1996, mais seulement pour les jugements rendus à compter du 1er mars 1998.

Rapprocher : Bull. AMC art. 1716