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ARTICLE

Art. 1803

PUBLICATIONS D'ACTES

RADIATIONS

Décisions judiciaires entachées d'erreurs ou d'omissions relatives à la désignation des personnes ou des immeubles
Possibilité prévue au 6 de l'article 34 du décret du 4 janvier 1955 et ouverte à la partie intéressée de demander par simple requête au président de la juridiction ayant statué de prendre une ordonnance portant rectification ou réparation de ces anomalies
Application de cette procédure aux mainlevées judiciaires ( non )

Ordonnance du Président de la 1ère chambre de la Cour d'appel de Bordeaux du 17 janvier 1995

Faits : Le 20 avril 1991, la société A.., qui est un promoteur immobilier, a conclu un marché de travaux avec la société B.., qui est une entreprise de construction, afin d'édifier un ensemble immobilier comprenant plusieurs immeubles collectifs à usage d'habitation, appelés à être divisés en lots de copropriété.

Au cours de l'exécution de ce marché, des difficultés s'élevèrent entre les cocontractants.

Elles conduisirent la société B, d'abord à faire dresser par un expert commis par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux le procès-verbal dont l'établissement est exigé par l'article 2103-4° du code civil, puis à inscrire le 11 octobre 1993 au bureau des hypothèques de la situation du chantier, le privilège des entrepreneurs institué audit article.

Le 28 mars 1994, la société A.. assigna la société B.. devant le tribunal déjà cité afin d'obtenir la mainlevée de cette inscription, laquelle fut prononcée par un jugement du 4 juillet de la même année, mais seulement en tant qu'elle grève les lots vendus avant qu'elle n'ait été prise.

Ce jugement ne satisfait ni la demanderesse qui releva appel, ni la défenderesse qui conclut reconventionnellement au rejet pur et simple de l'action en radiation.

Sur ces deux appels, le principal et l'incident, la Cour de Bordeaux statua le 15 décembre 1994 par un arrêt dont le dispositif est reproduit ci-après :

" Par ces motifs

La Cour,

Reçoit la société A.... dans son appel et la société B... dans son appel incident,

Confirme le jugement rendu le 4 juillet 1994 par le tribunal de grande instance de Bordeaux, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de mainlevée totale de l'inscription de privilège d'entrepreneur et en ce qui concerne la charge des dépens,

Réforme sur ces deux points, et statuant à nouveau :

Ordonne la mainlevée de l'inscription de privilège d'entrepreneur prise le 11 octobre 1993 par la société B... sur différents lots d'un ensemble immobilier situé à ....

Condamne la société B... aux dépens de première instance,

Ajoutant au jugement,

Condamne la Société B... à payer à la société A.... la somme de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société B.. aux dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile."

Cet arrêt constituant le " jugement en dernier ressort " exigé à l'article 2157 du code civil, l'avoué de la société A... demanda au conservateur de radier l'inscription qui faisait grief à sa cliente.

Notre collègue, toutefois, estima qu'en l'état, il ne pouvait pas exécuter la formalité ainsi requise. Pour justifier son refus, il fit valoir que " le siège social du créancier mentionné à l'arrêt est différent de celui figurant au bordereau d'inscription ".

Il excipa, en outre, du fait qu'" une ambiguïté apparaît quant au caractère total de la mainlevée ordonnée dès lors qu'il n'est pas explicitement affirmé dans le dispositif de l'arrêt alors que celui-ci ne porte pas la désignation des lots concernés ("... sur différents lots"..) et que la localisation de l'ensemble immobilier lui-même est erronée ( discordance avec le bordereau d'inscription )".

Le 20 janvier 1995, Me T... présenta à nouveau au conservateur une expédition de l'arrêt du 15 décembre 1994, accompagnée cette fois d'une ordonnance sur requête qui, rendue le 17 janvier par le président de la chambre même ayant accordé la mainlevée, contient les dispositions suivantes :

"VU,

Le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 4 juillet 1994,

L'arrêt de la 1ère Chambre de la Cour d'Appel de Bordeaux du 15 décembre 1994,

L'article 34 du décret du 4 janvier 1955 dans sa rédaction du décret du 7 janvier 1959,

Précisons que la société intimée visée audit arrêt est la société..... dont le siège social est situé à T...

Ladite société inscrite au registre du commerce et des sociétés de T... sous le numéro......avec direction générale au B.....

Précisons également que la localisation de l'ensemble immobilier sur les lots duquel la société... a inscrit son privilège d'entrepreneur est située à B..., figurant au cadastre révisé de la commune de B.... sous le numéro... de la section...pour une superficie de... dénommée Résidence....

Précisons que la mainlevée du privilège d'entrepreneur ci-dessus visé porte au vu du jugement du 4 juillet 1994 et de l'arrêt du 15 décembre 1994 sur la totalité des lots de l'ensemble immobilier dont s'agit et faisant l'objet de l'inscription de privilège d'entrepreneur inscrit le 11 octobre 1993, volume...numéro...

Ainsi fait à Bordeaux le 17 janvier 1995."

Observations :

Originairement, l'article 34 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 comportait seulement les paragraphes 1,2 et 3; mais dans son article 8, le décret n° 59-89 du 7 janvier 1959 l'a complété ainsi qu'il suit::

" 4. Lorsqu’il est mentionné, dans un acte soumis à publicité, que celui-ci a dû être établi d’urgence avant réception des documents sur la base desquels il doit être procédé à la désignation des personnes et des immeubles, les erreurs ou omissions relatives à cette désignation peuvent être réparées, préalablement à la réquisition de formalité, au moyen soit d’une mention complémentaire apposée par le rédacteur de l’acte à la suite de la minute ou de l’original, soit d’une attestation établie par acte distinct lorsque l’acte a déjà été enregistré ; en ce qui concerne les actes d’huissier de justice, la mention peut être portée, par l’huissier ou par l’avoué [ l’avocat ] intéressé, sur les documents déposés au bureau des hypothèques.

5. Lorsqu’une décision judiciaire soumise à publicité a été rendue sans que les documents visés au 4 aient été communiqués à la juridiction, les erreurs ou omissions relatives à la désignation des personnes et des immeubles peuvent être, préalablement à la réquisition de formalité, rectifiées ou réparées en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par le président de la juridiction qui aura statué ou par son délégué, à la demande de la partie intéressée qui doit, à cet effet, communiquer les documents justificatifs. Le président peut, s’il l’estime nécessaire, renvoyer les parties à se pourvoir devant la juridiction."

En l'espèce, c'est bien une décision de justice qui a été remise au bureau des hypothèques. Les anomalies réparées par l'ordonnance qui l'accompagnait sont relatives à la désignation des personnes et des immeubles et cette ordonnance a été rendue à la requête du propriétaire grevé à qui l'inscription à radier faisait grief et au vu des justifications par lui produites.

Mais là s'arrêtent les similitudes avec la situation visée au paragraphe 5 reproduit ci-avant.

En effet, le décret du 4 janvier 1955 comprend 5 chapitres intitulés respectivement: chapitre 1er " Dispositions générales ", chapitre II :" Publicité des privilèges et des hypothèques ", chapitre III: " Publicité des droits sur les immeubles autres que les privilèges et les hypothèques ", chapitre IV :
" Entrée en vigueur des dispositions transitoires ", chapitre V :" Dispositions diverses ".

Or, l'article 34 de ce décret a été placé par ses auteurs dans le chapitre III propre à la publicité des droits immobiliers autres que les sûretés réelles et cette publicité, ainsi qu'il est prescrit au paragraphe 1 de cet article " donne lieu obligatoirement au dépôt simultané, au bureau des hypothèques, de deux expéditions, extraits littéraux ou copies de l'acte ou de la décision judiciaire à publier ".

Aussi, au sens du 5 dudit article, la " décision judiciaire soumise à publicité " est-elle exclusivement celle appelée à la constitution du registre public;

A partir de son intégration dans ce registre, une telle décision, en application de l'article 2196 du code civil, devient accessible, sous forme de copie ou d'extrait, à " tous ceux qui le requièrent "; en outre, dans les conditions fixées aux articles 30 et 31 du même décret, les droits résultant de cette décision sont rendus opposables aux tiers qui, sur le même immeuble, sont titulaires de droits concurrents acquis du même auteur en vertu de titres non publiés.

Aucune de ces conséquences n'est produite par le jugement qui, ayant prononcé la mainlevée d'une inscription, conduit le conservateur à la radier.

Certes l'expédition de ce jugement est conservée au bureau des hypothèques mais pas afin d'être délivrée aux usagers du service de la publicité foncière.

Elle est gardée uniquement pour, en cas de réclamation, servir à justifier la validité de la radiation totale ou partielle opérée par le conservateur sous la forme d'une mention apposée en marge de l'inscription.

D'autre part, loin de conférer une préférence opposable aux concurrents n'ayant pas fait publier leurs titres, la radiation améliore la situation de ceux qui, jusqu'alors, étaient primés par l'hypothèque tenant son rang de l'inscription qui a été, soit anéantie, soit, tout au moins, réduite par réduction de la créance garantie ou du gage.

Ainsi, les dispositions du 5 de l'article 34 du décret du 4 janvier 1955 étaient étrangères à la réparation des erreurs ou omissions relevées dans l'arrêt de la Cour de Bordeaux en date du 15 décembre 1994 si bien que l'ordonnance du 17 janvier 1995 a été prise à la suite d'une fausse application de cet article, cité pourtant dans ses visas.

Dans la présente affaire toutefois, cette initiative extra-légale n'a pas été inutile.

En précisant que la mainlevée portait sur la " totalité des lots " le président de la 1ère chambre a corroboré ce qui, tout en n'étant pas formellement exprimé dans le dispositif, ressortait de la lecture complète et raisonnée de cet arrêt;

En effet, dans la partie finale des motifs, il était conclu " qu'il y a donc lieu de réformer le jugement en ce qu'il a refusé d'ordonner une mainlevée totale du privilège inscrit le 11 octobre 1993, et d'ordonner cette mainlevée ".

Quant aux précisions concernant l'adresse du siège de la société B... elles ont donné à notre collègue la pleine assurance que la Cour avait statué en présence de la personne même qui avait pris l'inscription à radier.

En réalité, pour tenir le rôle qui lui est dévolu en matière de radiation judiciaire, le conservateur doit acquérir la certitude qu'il existe une parfaite concordance entre l'inscription figurant au registre public et celle dont la juridiction a accordé la mainlevée.

A cette fin, il lui incombe de rapprocher l'ensemble des énonciations du jugement de celles du bordereau et, s'il subsiste un doute, d'exiger du requérant la production de toutes les pièces justificatives susceptibles de l'éclairer.

Peu importe, par suite, si, dans le jugement, la désignation des personnes et des immeubles ne satisfait pas à toutes les conditions exigées par les articles 5 à 7 du décret du 4 janvier 1955.

Ces articles ont été faits pour les titres dont les conservateurs ne contrôlent pas l'efficacité, qui sont délivrés à tous ceux qui le demandent et qui, partant, doivent identifier clairement et exactement à la fois les parties et les immeubles.

Dès lors, l'ordonnance sur requête rendue le 17 janvier 1995 ayant donné à notre collègue toutes les assurances qu'il souhaitait, plus rien ne s'opposait à la radiation requise.

Rapprocher : Bulletin AMC art. 1703.