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Art. 1826

PROCEDURE

Contrôle juridictionnel de la validité des refus

Refus d'une inscription motivé par le défaut de paiement préalable
de la taxe de publicité foncière réclamée par le conservateur
Annulation du refus en première instance pour défaut de base légale de ladite taxe
Confirmation de l'annulation par le juge d'appel                                                       

Arrêt de la Cour d'appel de Paris ( 4ème chambre, section B )   

du 24 mars 2000   

Faits : Le 24 mars 2000, la Cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance qui, rendue le 28 octobre 1999 par le président du tribunal de grande instance de Créteil, a été reproduite et commentée à l'article 1812 du Bulletin auquel, dès lors, pour sa complète information, le lecteur est invité à se reporter.

Le refus en cause est celui d'une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire et, pour justifier son annulation, il a été jugé que la taxe de publicité foncière dont le versement préalable avait été demandé par le conservateur “ n'avait manifestement pas à être perçue”.

Au soutien de son appel, notre collègue, M. P... a, à titre principal, exposé qu'en statuant sur l'exigibilité de la taxe en cause, le juge du premier degré a, à un double titre, excédé ses pouvoirs.

En effet, en agissant de la sorte, ce magistrat a méconnu les dispositions de l'article 1701 du code général des impôts d'où il résulte que les sommes exigées par le conservateur avant l'exécution des formalités requises ne peuvent, tant qu'elles n'ont pas été payées, être contestées en justice.

En outre, il s'est affranchi des règles, édictées à l'article L199 du Livre des procédures fiscales, qui attribuent le jugement du contentieux de le taxe de publicité foncière au tribunal de grande instance et non à son président et subordonne l'intervention de ce tribunal à la condition que l'Administration se soit préalablement prononcée sur la réclamation du redevable.

Subsidiairement, il a été remarqué que la taxe litigieuse avait frappé l'accroissement des capitaux garantis et que, par suite, il n'y avait pas eu la double imposition de la même créance, prescrite par les articles 844 et 1702 bis du code déjà cité.

Se fondant sur ces moyens, l'appelant a conclu à l'infirmation de l'ordonnance entreprise et à la validation du refus ainsi qu'à la condamnation de la banque C... à supporter les dépens et à lui payer 10 000 francs au titre de l'article 700 NCPC.

Dans sa réplique, l'intimé a affirmé qu'en jugeant comme il l'a fait, l'auteur de cette ordonnance a usé régulièrement des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 26 du décret du 4 janvier 1955, modifié par la loi n° 98-261 du 6 avril 1998.

Cet article, en effet, charge le président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les immeubles du soin de statuer sur tous les refus de dépôt prononcés par les conservateurs.

Cette attribution a été conférée sans aucune réserve et donc sans excepter le cas où l'article 1701 du CGI est invoqué.

Aussi est-ce à tort que l'appelant reproche au tribunal de Créteil d'avoir outrepassé les limites de sa compétence.

La banque C..., en outre, a fait valoir que l'inscription prise auprès de la conservation des hypothèques de C... est bien relative à une somme  déjà énoncée dans le bordereau déposé auprès de la conservation de M... et ne constitue en aucun cas une garantie pour une créance complémentaire, mais une garantie pour la même créance dont le montant a été volontairement limité.

Elle a, en conséquence, demandé la confirmation de l'ordonnance du 28 octobre 1999 ainsi que la condamnation de son adversaire à lui payer 10 000 francs sur le fondement de l'article 700 NCPC et à supporter les dépens.

Dans son arrêt du 24 mars 2000, la Cour de Paris opéra cette confirmation par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après:

“ Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats qu'aux termes d'un acte authentique du 24 avril 1992, le C... a consenti à la SCI M... dont M. et Mme L... étaient les seuls associés, un prêt d'un montant de 7 000 000 F pour la garantie duquel il a inscrit le même jour une hypothèque conventionnelle sur les biens immobiliers de la SCI  M... à la conservation des hypothèques de M..., volume... n°...; qu'après la mise en liquidation judiciaire de la SCI M... le 26 juillet 1999 par le tribunal de commerce de M..., le C... a déclaré le 12 août 1999 sa créance d'un montant total de 10 384 669,02 F auprès de Me C..., mandataire-liquidateur à la liquidation judiciaire de la SCI M...;

“ Que le C... s'est ensuite retourné contre M. et Mme L... en leur qualité d'associés sur le fondement de l'article 1857 du code civil et a été autorisé par ordonnance du  juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil du 30 août 1999 à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur la part indivise des biens et droits immobiliers leur appartenant à S... cadastrés section... pour garantir le paiement de sa créance évaluée provisoirement à la somme de 10 384 669 F;

“ Que le conservateur du bureau des hypothèques de C... a notifié le 21 septembre 1999 à la SCP... , avocat du C..., son refus du dépôt des bordereaux d'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire à hauteur de la somme de 2 200 000 F sur lesdits biens et droits immobiliers appartenant à M. et Mme L.. , au motif de l'insuffisance de provision pour le paiement de la taxe de publicité foncière de l'article 1701 du code général des impôts;

“ Considérant qu'il découle des dispositions combinées des articles 844 alinéa 2 et 1702 bis du code général des impôts que c'est à juste titre que le Président du Tribunal de grande instance de C..., sans excéder les pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 26 du décret n° 55-52 du 4 janvier 1955 (1)  dans sa rédaction issue de la loi n° 98-261 du 6 avril 1998, a déclaré non fondée la décision de rejet de dépôt prise par le conservateur du ... bureau des hypothèques de C..., dès lors qu'il apparaît que la créance pour laquelle l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire était requise, est bien la même que celle garantie par l'inscription d'hypothèque conventionnelle du 24 avril 1992, qu'était désigné, dans les réquisitions déposées, le bureau de conservation des hypothèques de M... où la publicité avait été requise en premier lieu et qu'il était joint un duplicata de la quittance constatant le paiement entier de la taxe de publicité foncière dans ce bureau;

“ Qu'il y a lieu en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise;

“ Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge du C... les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés;

“ Considérant que M. P..., qui succombe sur son appel, doit être condamné aux entiers dépens et ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 NCPC:

“ PAR CES MOTIFS, LA COUR,

"Déclare M. P..., es qualités de conservateur du ... bureau des hypothèques de C..., mal fondé en son appel et l'en déboute;

“ En conséquence:

“ Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise;

“ Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du NCPC;

"Condamne M. P..., es qualités de conservateur du ... bureau des hypothèques de C..., aux entiers dépens;

"Admet la SCP G..., avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.”

Observations : Dans l'arrêt qui précède, la Cour de Paris a débouté le conservateur de ses conclusions, nettement et totalement, mais sans toutefois, faute d'une motivation suffisante, lui permettre de comprendre la raison de cet échec.

En effet, comme il sera relaté ci-après, tous les moyens qu'il a invoqués ont été esquivés, tant celui ayant un caractère seulement subsidiaire que ceux présentés à titre principal.

A) Moyen subsidiaire

Ce moyen a tendu à démontrer que la taxe de publicité foncière qui, selon le premier juge “ n'avait manifestement pas à être perçue ” était, en réalité, légalement due.

Pour le rejeter, la Cour a déclaré “ qu'il apparaît que la créance pour laquelle l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire était requise, est bien la même que celle garantie par l'inscription d'hypothèque conventionnelle du 24 avril 1992 (2), qu'était désigné, dans les réquisitions déposées, le bureau de la conservation des hypothèques de M... où la publicité avait été requise en premier lieu et qu'il était joint un duplicata de la quittance constatant le paiement entier de la taxe de publicité foncière dans ce bureau”.

Mais l'appelant, dans son  mémoire, n'a pas contesté que la somme de 2 200 000 francs, appelée à être conservée par l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire vainement requise le 17 septembre 1999, était due à la banque C... en vertu des stipulations du prêt notarié de 7 000 000 de francs consenti le 24 avril 1992 par cette banque à la SCI  M....

Il savait également que ce prêt avait été garanti par une inscription d'hypothèque conventionnelle prise le 20 mai 1992 au bureau de M... pour sûreté d'une créance qui, exprimée en principal à 7 000 000 de francs et en accessoires à 1 050 000 francs, s'élevait à un total de 8 050 000 francs et il ne déniait nullement avoir reçu le duplicata de quittance dont la remise est exigée par l'article 1702 bis du CGI.

Ce sur quoi il mettait l'accent était le fait que les droits du créancier, évalués dans le bordereau formalisé le 20 mai 1992 à 8 050 000 francs, avaient été réévalués dans celui appelé plus de 7 ans après, à opérer l'inscription provisoire litigieuse.

Cette mesure conservatoire, en effet, a été autorisée par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil qui, dans son ordonnance du 30 août 1999, a fixé le montant maximal des sommes à garantir à 10 384 669 francs.

Il ne pouvait, dès lors, qu'être constaté que l'inscription provisoire prise pour 2 200 000 francs avait pour résultat de porter de 8 050 000 francs à 10 250 000 francs l'ensemble des sommes conservées par des sûretés hypothécaires afin d'assurer le remboursement du prêt déjà cité.

Il était donc certain que la somme de 2 200 000 francs n'avait pas déjà donné ouverture à la taxe de publicité foncière de 0,60 % et c'est sur cette certitude que M. P... s'est fondé pour soutenir qu'il ne pouvait pas lui être reproché d'avoir méconnu le principe de l'unicité de taxe, invoqué par l'intimé.

De ce raisonnement, les juges du second degré ne firent aucun cas; ils l'écartèrent, mais implicitement, sans expliquer pourquoi.

Il constituait pourtant un moyen sérieux dès lors que le non cumul de droits proportionnels, lorsque deux inscriptions ou plus garantissent une même créance, est l'application de la règle coutumière “ non bis in idem ”, très généralement observée dans le droit spécial de l'enregistrement.

Or, la mise en œuvre de cette règle est toujours subordonnée à la non augmentation des valeurs énoncées ou estimées.

Cette condition, expressément imposée au second alinéa de l'article 673 du CGI, va de soi dans un système où le droit proportionnel frappe les mouvements de valeurs.

Il ne serait pas concevable, sous prétexte qu'il s'agit toujours du même titre de créance, de conférer un avantage fiscal aux personnes qui ventileraient les sommes garanties en les répartissant entre plusieurs bordereaux.

Tel n'est pas le but visé par les auteurs des articles 844 et 1702 bis.

Ils ont seulement voulu laisser aux créanciers la possibilité de renforcer les garanties attachées à des sommes déjà soumises à la taxe proportionnelle de publicité foncière sans avoir à la payer à nouveau.

B) Moyens principaux 

Comme celle des droits d'enregistrement, la perception de la taxe de publicité foncière est soumise au contrôle de l'autorité judiciaire.

Ce contrôle est organisé par les dispositions des lois fiscales qui désignent les juridictions appelées à l'exercer et en fixent les modalités et les limites.

Ces dispositions sont notamment contenues dans l'article 1701 du CGI et dans l'article L199 du Livre des procédures fiscales.

Or, de ces articles, le président du TGI de Créteil n'a pas tenu compte lorsque, dans son ordonnance du 28 octobre 1999, il a jugé que la taxe réclamée par le conservateur n'était pas légalement due et qu'elle n'avait pas, par suite, à être payée.

C'est pourquoi, dans ses conclusions d'appel, notre collègue, à titre principal, invoqua la violation de l'un et l'autre de ces articles en considérant que chacune de ces illégalités suffisait à valider le refus de dépôt qui, en première instance, a été annulé.

Citant d'abord l'article 1701, il a tout d'abord rappelé que cet article, dans son premier alinéa, pose le principe du paiement préalable des droits des actes  à enregistrer ou à publier.

Puis il a poursuivi en remarquant que le second alinéa du même article dispose que de ces droits “ nul ne peut en atténuer ni différer le paiement sous le prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s'il y a lieu ”.

Ce qui implique que tant que les droits liquidés et réclamés par le conservateur n'ont pas été payés, aucune autorité, même judiciaire, n'est habilitée à rechercher s'ils sont ou non légalement dus.

D'où notre collègue a conclu qu'en statuant comme il l'a fait, le premier juge avait passé outre à l'immunité ainsi instituée et qu'il avait, de la sorte, excédé ses pouvoirs.

En plus, a été invoqué l'article L 199 du Livre des procédures fiscales qui attribue au tribunal de grande instance et non à son président le jugement du contentieux de la taxe de publicité foncière.

Ce tribunal, toutefois, ne peut pas être saisi immédiatement des erreurs commises dans l'assiette ou le calcul de cette taxe.

Selon l'article R 190-1 du même livre, seules sont recevables les réclamations qui, préalablement soumises à l'administration, ont été rejetées en totalité ou en partie.

Par l'ordonnance entreprise, ces articles, également, ont été méconnus.

Quoique clairement formulés par l'appelant, ces deux moyens, tant celui fondé sur l'article 1701 que celui tiré de la compétence exclusive du tribunal de grande instance, n'ont pas été analysés et discutés; mêlés au moyen subsidiaire, ils ont été rejetés en bloc.

Pour ce faire, la Cour, après avoir affirmé que l'inscription prise en 1992 et celle requise en 1999 garantissaient la même créance et s'être appuyée sur les dispositions combinées des articles 844, alinéa 2, et 1702 bis du CGI, a décidé que “ c'est à juste titre que le Président du Tribunal de Grande instance de Créteil .. a déclaré non fondée  la décision de rejet de dépôt prise par le conservateur...”.

Simultanément, dans la même phrase, elle a précisé que le président a jugé comme il l'a fait “ sans excéder les pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 26 du décret du 4 janvier 1955 dans sa rédaction issue de la loi n° 98-261 du 6 avril 1998”.

Ce satisfecit est péremptoire mais il n'est pas motivé.

Or, il suppose, pour être valable, que la loi à laquelle il y est fait référence et plus exactement son article 17 a rendu les articles 1701 du CGI et L 199 du Livre des procédures fiscales inopposables au juge des refus de dépôt.

Mais la conséquence ainsi attribuée audit article 17 ne ressort ni de son sens littéral, ni des travaux préparatoires auxquels il a donné lieu, ni des débats à l'issue desquels il a été adopté.

Cet article, inclus dans une loi portant réforme de la réglementation comptable et adaptation du régime de la publicité foncière, a eu pour seul objet de compléter les pouvoirs du président du tribunal de grande instance de la situation de l'immeuble concerné qui, depuis le 1er janvier 1956, statue comme en matière de référé sur les recours formés contre les rejets de la formalité.

Il a fait en sorte que désormais, ce magistrat agisse semblablement pour les refus de dépôt dont la validité, jusqu'alors, était jugée par le tribunal de grande instance.

Cette réforme donc, a le caractère d'une mesure de déconcentration judiciaire et ce serait en dénaturer le sens que de considérer que tacitement, elle a, en outre, amendé des dispositions législatives relatives au paiement et au contentieux d'un impôt.

Celles-ci, par suite, limitent l'étendue du contrôle de légalité qui porte, par exemple, sur la constatation du défaut de versement préalable ou sur l'appréciation de la valeur de l'instrument de paiement mais ne saurait concerner l'exigibilité de la taxe non payée, ni son principe ni son montant.

Aussi, notre collègue, en plein accord avec le comité de contrôle, s'est-il pourvu en cassation.

Rapprocher : Bull. AMC, art. 1812.


[1] Il faut lire: décret n° 55-22 et non 55-52 du 4 janvier 1955 modifié.

[2] Cette inscription, en fait, a été prise au bureau de M... le 20 mai 1992 et non le 24 avril précédent, qui est la date du contrat de prêt ayant donné naissance au droit d'hypothèque.