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Art. 1834

 

Inscriptions

Inscription provisoire de l’ex-article 54 de l’ancien code de procédure civile

Prise de l’inscription définitive au vu d’une décision de justice satisfaisant à la condition d’avoir force de chose jugée

Condition non remplie par un jugement frappé d’appel, même assorti de l’exécution provisoire

 

Arrêt de la Cour de cassation ( 2ème Chambre civile ) du 24 juin 1998

 

Faits : Un créancier, M. T…., a le 5 décembre 1989 pris une inscription provisoire d’hypothèque judiciaire sur un immeuble appartenant à son débiteur, M. B…, dans les conditions prévues à l’article 54 ACPC et donc, en présentant l’ordonnance d’autorisation, rendue à cette fin par le président du tribunal de grande instance.

La " décision statuant au fond " exigée par ledit article 54 a été constituée par un jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 6 février 1992 qui, statuant à la requête du créancier, a confirmé ses droits.

Il a condamné le défendeur à payer la somme de 100 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 1990 et accordé au demandeur le bénéfice de l’exécution provisoire.

Ce jugement, toutefois, a consenti au débiteur des délais sous forme d’un échéancier prenant effet dans le mois de la signification et précisé que le créancier ne pourrait effectuer les démarches utiles à la préservation de ses droits auprès de la conservation des hypothèques qu’à défaut de paiement de l’une quelconque des échéances.

M.B…fit appel de ce jugement mais son recours fut rejeté et c’est en présentant l’arrêt de la Cour de Bordeaux l’ayant débouté que son créancier fit, le 20 juillet 1993, opérer l’inscription définitive.

Mais ce plaideur opiniâtre changea alors l’objet du procès; il ne contesta plus le bien fondé de la créance mais s’en prit à la régularité de l’inscription définitive à laquelle il reprocha d’avoir été prise plus de deux mois après que le titre du créancier fut passé en force de chose jugée.

Il demanda en conséquence d’abord au tribunal de grande instance, puis, ayant été débouté, à la Cour de Pau, de déclarer la nullité et, en conséquence, d’ordonner la mainlevée tant de l’inscription définitive que de celle, provisoire, à laquelle elle a été rétroactivement substituée.

Par un arrêt du 3 mai 1995, les juges d’appel confirmèrent le jugement entrepris et c’est cet arrêt que M.B… déféra à la censure de la Cour de cassation, laquelle, le 24 juin 1998, rejeta le pourvoi par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après :

Sur le moyen unique :

Attendu que M.B…fait grief à l’arrêt attaqué ( Pau, 3 mai 1995 ) d’avoir rejeté sa demande tendant à la nullité et en conséquence à la mainlevée de l’inscription d’hypothèque définitive prise sur un immeuble lui appartenant par M.T…, alors que selon le moyen, 1°/ l’hypothèque légale ne peut rétroagir à la date d’inscription d’hypothèque judiciaire conservatoire qu’à la condition que le créancier ait inscrit l’hypothèque légale1 dans les 2 mois de la date à laquelle le jugement a acquis force de chose jugée; que la cour d’appel a constaté que le jugement du 6 février 1992 condamnant M. M…B…à payer à M. R… T…la somme de 100 000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 1990 était assorti de l’exécution provisoire, peu important à cet égard qu’un échéancier ait été accordé au débiteur; qu’il s’ensuit qu’en affirmant que l’inscription définitive ne devait être prise que lorsque l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux a été rendu, la cour d’appel a violé les articles 54 et 55 du nouveau2 Code de procédure civile et 500 et 504 du nouveau Code de procédure civile ;2°/ le délai de grâce ne fait pas obstacle au caractère exécutoire de la décision condamnant un débiteur au paiement même échelonné de la créance; que pour avoir affirmé le contraire, la cour d’appel a violé les articles 513 et 500 du nouveau Code de procédure civile; 3°/ le jugement du 6 février 1992 qui condamnait M. M… B…à payer à M. R…T…la somme de 100 000 francs avec les intérêts légaux à compter du 6 mars 1990 et ordonnait l’exécution provisoire ne soustrayait nullement l’inscription définitive d’hypothèque à l’effet de celle-ci; qu’il s’ensuit que pour avoir affirmé que ( arrêt p.5 ): " le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux comportait un échéancier et que, dès lors, en ce qui concerne l’hypothèque judiciaire, le jugement n’était pas exécutoire immédiatement, " la cour d’appel a violé l’autorité de la chose jugée et, dès lors, les articles 1350 et 1351 du Code civil; 4°/ M. M…B…avait fait valoir dans ses écritures d’appel que le juge des référés avait prescrit de saisir le juge du fond dans les deux mois de l’inscription, ce que M. R…T…n’avait pas fait, pas plus qu’il n’avait notifié l’inscription provisoire dans les 15 jours de l’ordonnance conformément aux prescriptions de l’article 55 du Code de procédure civile; que la cour d’appel qui s’est totalement abstenue de se prononcer sur ce moyen a entaché son arrêt d’un défaut de réponse à conclusions et violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu que l’inscription définitive d’hypothèque judiciaire se substituant à l’inscription provisoire, doit être prise dans les 2 mois, à dater du jour où la décision statuant au fond a force de chose jugée, et que tel n’est pas le cas d’un jugement de condamnation frappé d’appel, fût-il assorti de l’exécution provisoire;

Et attendu qu’ayant retenu que l’inscription définitive ne pouvait être prise qu’après que fut rendu l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux confirmant le montant des condamnations, la cour d’appel qui, par motifs adoptés a répondu aux conclusions de M.B…, a par ce seul motif, légalement justifié sa décision;

 

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. B…aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. B…à payer à M.T…la somme de 12.000 francs.

 

Observations : Selon le 4ème alinéa de l’article 54 de l’ancien code de procédure civile, toute inscription provisoire doit être confirmée par une inscription définitive " prise dans les deux mois à dater du jour où la décision statuant au fond aura force de chose jugée. " Le délai ainsi imparti est impératif : lorsque l’inscription définitive est opérée hors délai, qu’elle soit tardive ou prématurée, elle n’est pas substituée rétroactivement à l’inscription provisoire3. Celle-ci, par suite, devient sans effet si bien que son titulaire est définitivement privé du rang sur lequel il comptait.

C’est sur quoi le demandeur s’est fondé en relevant, au soutien de son pourvoi, que le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 6 février 1992 ayant consacré la créance de M. T…est assorti de l’exécution provisoire.

Or, rappelle-t-il, l’article 500 du nouveau code de procédure civile dispose qu’ " a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution. "

D’où il est conclu que celui du 6 février 1992 devait être regardé comme ayant acquis ladite force et de là, il est déduit que l’inscription définitive, prise le 20 juillet 1993 en présentant l’arrêt de la cour de Bordeaux ayant confirmé ce jugement, était tardive.

Dès lors, cette inscription, contrairement à ce qui y était indiqué, n’avait pas rang à la date de l’inscription provisoire et donc au 5 décembre 1989.

Par suite, selon M. B…, c’est à tort que sa mainlevée n’a pas été prononcée par le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Aussi, est-il reproché à l’arrêt attaqué d’avoir, en approuvant ce jugement, violé notamment les articles 54 et 55 de l’ancien code de procédure civile et 500 et 504 du nouveau.

Mais au soutien de ce moyen, il n’est pas fait grief aux juges du fond d’avoir dénié l’existence d’un rapport de causalité entre le bénéfice de l’exécution provisoire et l’acquisition de la force de chose jugée car ce n’est pas ce qu’ils ont objecté.

Au premier et au deuxième degré, ils ont relevé que le jugement ayant condamné le débiteur à payer la somme capitale de 100 000 F, d’une part, lui a accordé un délai de grâce ressortant de l’échéancier qui y était fixé et d’autre part, a précisé que le créancier ne pourrait effectuer les démarches utiles à la conservation de ses droits auprès du bureau des hypothèques qu’à défaut de paiement de l’une quelconque des échéances.

C’est en se fondant sur ces constatations que l’arrêt attaqué, sans contester que le jugement du 6 février 1992 avait force de chose jugée, a considéré qu' " en ce qui concerne l’hypothèque judiciaire, ce jugement n’était pas exécutoire immédiatement " et qu’il s’ensuivait que " l’inscription définitive ne devait être prise que lorsque l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux a été rendu."

C’est à cette conclusion que la Cour de cassation est arrivée mais elle a, pour y parvenir, raisonné autrement.

Elle n’a pas fait état du délai de grâce et des effets qui lui ont été attribués et que le demandeur au pourvoi contestait.

Elle s’est bornée à déclarer qu'" un  jugement frappé d’appel, fût-il assorti de l’exécution provisoire, n’a pas force de chose jugée."

Elle a donc écarté le syllogisme qui, à partir de l’article 500 NCPC, énonce les propositions suivantes :

-le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution a force de chose jugée;

-or, les recours formés contre un jugement assorti de l’exécution provisoire n’empêchent pas celui qui a obtenu un tel jugement d’en obtenir de suite l’entier bénéfice;

- donc, un tel jugement a force de chose jugée.

Cette démonstration, apparemment, est logique mais la conclusion à laquelle elle aboutit n’est pas conforme aux intentions des auteurs du nouveau code de procédure civile.

En effet, elle n’est pas compatible avec les dispositions de l’article 501 du même code qui suit immédiatement celui dont elle est tirée et qui, comme lui, est relatif à " l’exécution du jugement."

Selon l’article 501, "  le jugement est exécutoire sous les conditions qui suivent à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d’un délai de grâce ou le créancier de l’exécution provisoire."

Ainsi, cet article énonce le principe qui veut le jugement ne soit exécutoire que lorsqu’il est passé en force de chose jugée et à ce principe, apporte deux exceptions.

Or, celle venant en second implique nécessairement que ladite force n’est pas conférée d’office par l’exécution provisoire.

Si elle l’était, cette exception ne serait, en réalité, que l’application de la règle générale à laquelle elle est censée déroger.

En outre, dès avant l’arrêt du 24 juin 1998, la Cour de cassation, et plus précisément sa troisième Chambre civile, avait fait abstraction de l’exécution provisoire pour fixer les conditions d’acquisition de la force de chose jugée dans deux arrêts en date respectivement du 19 octobre 1988 et du 4 janvier 1991.

Le plus ancien qui a été inséré et commenté à l’article 1416 du Bulletin a approuvé le refus de radier une inscription au vu d’un jugement frappé d’appel mais bénéficiant de l’exécution provisoire.

Quant à celui du 4 janvier 19914, il a cassé la décision d’une cour d’appel ayant admis la régularité d’une inscription définitive qui, substituée rétroactivement à une inscription provisoire, avait été opérée " en vertu d’un jugement de condamnation du 14 novembre 1979 assorti de l’exécution provisoire et, alors, non encore signifié. "

La Haute juridiction, après avoir rappelé que " seul a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution ", a décidé que " ce n’était pas le cas de ce jugement " et que par suite, en statuant comme elle l’a fait, la cour a violé à la fois l’article 54 de l’ancien code de procédure civile et l’article 500 du nouveau.

Sur cet arrêt, lorsqu’il a été rendu, il n’est pas apparu utile d’appeler l’attention des conservateurs en activité qui, avant le 1er janvier 19935, n’avaient pas à s’intéresser à la validité des inscriptions définitives.

Depuis, l’article 263 du décret du 31 juillet 1992 a, en la matière, attribué à ces mandataires légaux un rôle plus actif et les difficultés qui s’en sont suivies ont montré qu’il y aurait eu avantage à ce que l’arrêt du 4 janvier 1991 ait été diffusé.

Il est probable, en particulier, que s’il avait été invoqué devant lui, le président du tribunal de grande instance de Saint Brieuc n’aurait pas, comme il l’a fait dans son ordonnance du 3 juin 1999 6 , jugé qu'" une ordonnance de référé accordant une provision au créancier, mesure exécutoire de droit à titre provisoire, doit, quant à elle, être considérée comme pourvue de la force de chose jugée dès sa signification, car étant insusceptible de recours suspensif d’exécution, sauf mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 521 du nouveau code de procédure civile, laquelle n’a pas été mise en œuvre en l’espèce."

Désormais, grâce à aux informations et explications qui précèdent, nos collègues en activité ont la possibilité de citer, dès la notification de la cause de refus, deux arrêts de cassation qui, rendus à 7 ans d’intervalle, ont l’un et l’autre dénié la force de chose jugée à un jugement frappé d’appel ou encore susceptible de l’être, " fût-il assorti de l’exécution provisoire. "

S’ils s’en prévalent, ils ne pourront, semble-t-il, que prévenir le renouvellement de l’erreur judiciaire sus-relatée dont un conservateur a temporairement pâti.

 

Rapprocher : Bull. AMC, art. 1816.