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Art. 77

RADIATIONS.

Hypothèque légale de la femme mariée.
Vente d'immeubles par les deux époux. Hypothèque inscrite.
Absence de renonciation de la femme. Radiation impossible.

Si l'Art. 2135 du Code Civil, tel qu'il a été modifié par le décret-loi du 14 juin 1938, autorise la femme mariée à renoncer à son hypothèque légale au profit des tiers, même en tant qu'elle garantirait une pension alimentaire, c'est à la double condition : 1° que l'hypothèque ne soit pas inscrite à l'époque où intervient la renonciation ; 2° que la renonciation de la femme soit formulée en termes exprès et accompagnée des formalités prévues par la loi. Doit, en conséquence, être rejetée la demande du mari tendant à la radiation de l'inscription de l'hypothèque légale de sa femme en tant qu'elle grève un immeuble vendu par les époux aux termes d'un acte ne renfermant pas de renonciation expresse de la femme.
(Nice, 11 janvier 1951.)

Le Tribunal

Attendu que, par exploit de M° Rostan, huissier à Nice, en date du 27 octobre 1950, Rémi-Alfred Flamand a assigné son épousé, née Marie-Thérèse Roatta, par devant la chambre du Conseil de la première chambre du Tribunal civil de céans, pour voir radier l'inscription d'hypothèque légale prise, le 4 janvier 1950, vol. 424, n° 22 ;

Attendu que le Ministère public, au vu de la requête aux fins d'assignation, s'oppose à la demande, conformément aux prescriptions de l'Art. 2135 du Code civil,- § 3, complété par le décret-loi du 11 juin 1938 ;

Attendu que. la dame Roatta, épouse Flamand, ne comparait pas et qu'il y a lieu de statuer par défaut à son encontre ;

Attendu que, dans un acte de vente passé le 8 juillet 1950, par devant M° Scassal, notaire à Nice, par les époux Flamand, aux époux Garin, d'un magasin et de ses dépendances sis à Nice, 55, rue de la Buffa, la dame Roatta a déclaré que, jusqu'à ce jour, elle n'avait requis à son profit aucune inscription d'hypothèque légale ;

Que cette affirmation se trouve controuvée par l'inscription d'hypothèque légale prise à son profit au bureau des hypothèques de Nice, le 4 janvier 1950, Vol. 424, n° 22;

Attendu que, référence prise aux dispositions de l'Art. 2135 du Code civil, modifié par le décret-loi du 14 juin 1938, les effets de l'hypothèque légale de la femme mariée, même en tant qu'elle garantirait la pension alimentaire judiciairement allouée pour elle ou ses enfants ou toute autre charge née du mariage, ne peuvent en aucun cas être opposés aux tiers acquéreurs qui ont bénéficié de renonciations, cessions, subrogations ou concours à la vente antérieure à l'inscription de cette hypothèque, à condition que la personne y ait expressément renoncé après lecture faite et constatée par l'acte du dit Art.;

Qu'il résulte de cette disposition nouvelle que la femme mariée peut renoncer à son hypothèque égale même garantissant une pension alimentaire judiciairement allouée pour elle et ses enfants; que toutefois cette renonciation est subordonnée à une double condition de fond et de forme, à savoir : 1°) que l'hypothèque ne soit pas inscrite au moment où intervient sa renonciation. 2°) que la femme renonce expressément, après lecture faite et constatée à l'acte de l'Art. 2135 du Code Civil dans sa rédaction nouvelle.

Que cette double condition ne se trouve pas réalisée en l'espèce; que par voie de conséquence, le sieur Flamand doit être débouté de ses demandes, fins et conclusion.

Par ces motifs :

Le Tribunal jugeant contradictoirement et en premier ressort, le Ministère public entendu :

Déboute le sieur Flamand des fins de son assignation en date du 27 octobre 1950. Le condamne aux dépens...

Observations. - Si, aux termes du 7° alinéa ajouté à l'Art. 2135 du Code civil par le décret-loi du 14 juin 1938, l'hypothèque légale de la femme mariée, en tant qu'elle garantirait une pension alimentaire, ne peut être opposée notamment aux tiers qui ont acquis les biens du mari, c'est à la double condition :

que la femme y renonce expressément

Que la renonciation soit, antérieure à l'inscription de l'hypothèque.

La plupart des tribunaux considèrent que cette seconde condition ne leur est pas opposable; ils se reconnaissent par suite le droit de donner efficacité à la renonciation de la femme à son hypothèque déjà inscrite et, en conséquence, d'ordonner la radiation de l'inscription en tant qu'elle grève l'immeuble aliéné, s'il leur apparaît que les droits de la femme sont suffisamment sauvegardés par les autres immeubles du mari (C. Aix, 11 juillet 1939, J.C.P. 40 II.1429 ; - Seine, 22 janvier 1941, D. 42 J. 159, S. 41-2-19, J.C.P. 1941, Il. 159; - Toulouse, 25 juillet 1941 ; -C. Caen, 13 janvier 1942, D. 1942 J. 159 ; - Seine, 22 janvier 1942 ; - Seine, 27 juillet 1943 ; - Seine, 16 juillet 1946, J.N. 42077 ; - Pontoise, 13 juin 1947, J.C.P. 48 II. 4045 et la note M.P. ; - Seine, 7 juillet, 1947, Bull. A.M.C., art. 20). Et même plusieurs jugements estimant que cette condition, formulée d'une manière incidente n'était pas en harmonie avec les intentions des auteurs du décret-loi du 14 juin 1938, telles qu'elles sont exposées dans le rapport au Président de la République qui précède ce décret, l'ont considérée comme non écrite; ils ont en conséquence reconnu à la femme mariée le pouvoir de disposer sans réserves de son hypothèque légale au profit des tiers qui ont contracté avec leur mari, malgré l'inscription de cette hypothèque, et dès lors celui de donner mainlevée de cette inscription, même en tant qu'elle garantit ou pourrait garantir une pension alimentaire (Avranche, 28 janvier 1941, D. 1942, J. 160; - Pontoise, 24 juillet 1947, J.C.P, 49, II. 4648; - Seine, 7 janvier 1950, Bull. A.M.C. art. 21).

La première condition est, par contre, exprimée d'une manière trop formelle pour que les tribunaux puissent suppléer à la renonciation aux lieu et place de la femme. Le texte légal exige même, afin que le consentement de la femme soit donné en connaissance de cause, qu'il soit précédé de la lecture par le notaire de l'Art. 2135 du code civil. la nécessité du consentement de la femme est au surplus conforme au but recherché par les rédacteurs du décret-loi du 14 juin 1938, qui ont entendu permettre à la femme de renoncer au profit des tiers à son hypothèque légale en tant qu'elle garantissait ou pouvait garantir une pension alimentaire, alors qu'une telle renonciation lui était jusque là interdite du fait de l'incessibilité de la créance garantie, et non pas donner au mari la possibilité de faire autoriser cette renonciation par la Justice à défaut du consentement de la femme. Au contraire, l'Art. 2140 Code Civil dispose expressément qu'il ne pourra être convenu qu'il ne sera pris aucune inscription, l'Art. 2136 impose au mari l'obligation de prendre inscription sans aucun délai et l'Art. 2144, 2° et 3° al., limite les cas où les juges pourront autoriser la subrogation judiciaire de l'acquéreur du prêteur à l'hypothèque légale de la femme qui refuse d'y consentir.

Dans l'affaire soumise au Tribunal de Nice, où la femme, n'avait renoncé à son hypothèque légale, dans l'acte de vente, ni devant les juges puisqu'elle faisait défaut, la demande du mari ne pouvait donc qu'être rejetée.

La solution aurait sans doute été différente si le mari avait justifié avoir vendu son immeuble dans l'intérêt de la famille. Dans cette hypothèse, en effet, le tribunal aurait été autorisé, par le 2° al. dé l'art. 2144 du Code civil, à soustraire l'immeuble vendu aux effets de l'hypothèque légale de la femme sans le consentement de cette dernière.

Annoter : C.M.L. n° 367 et 1219; - Jacquet et Vétillard, V° Femme mariée n° 107