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Art. 213

PROCEDURE

Instance en radiation entre parties. - Mise en cause du Conservateur.
Assignation impersonnelle. - Régularité.

Sommaire. - Aucune disposition légale n'oblige la personne qui assigne en justice un conservateur des hypothèques à l'occasion de sa fonction, de désigner ce fonctionnaire par son nom.

D'autre part, aucune faute ne peut être retenue à la charge du demandeur qui, à l'occasion d'une instance, en radiation entre parties, appelle dans la cause le conservateur des hypothèques en déclaration de jugement commun. Le conservateur ainsi consigné peut d'ailleurs, s'il le préfère, s'abstenir de constituer avoué et faire défaut.

Trib. Pontivy, 17 mars 1954.

Le Tribunal,

Attendu que B..., assisté de son conseil judiciaire X..., a fait assigner sa soeur dame veuve C... pour voir dire et juger que le conservateur des hypothèques de P... sera tenu de radier immédiatement, au vu du jugement à intervenir, toutes inscriptions de privilège de copartageant prises à la requête de veuve C... sur les biens appartenant à B... à la suite du partage de la succession de D...; et ce aux frais de la dame veuve C..., pour s'entendre, par ailleurs, etc...

Attendu que, d'autre part, le demandeur, assisté de son conseil judiciaire, a fait assigner également, par le même exploit, M. le conservateur des hypothèques de P..., pour voir déclarer commune au conservateur quant à la radiation du privilège la décision qui est demandée au principal contre la dame C...

Attendu...

Attendu que, de son côté, M. le Conservateur des Hypothèques de P..., faisait conclure, au principal, à la nullité de l'exploit introductif d'instance pour défaut de précision en assignation du nom du Conservateur des hypothèques et, au subsidiaire, en demandant condamnation de B... à lui payer à titre de dommages-intérêts la, somme de... pour un appel en la cause qu'il estime abusif

Sur l'état actuel du privilège pris :

Attendu...

Sur la nullité de la procédure soulevée par le Conservateur :

Attendu qu'en des procédures en responsabilité, des directeurs de fonctions publiques ou des chefs de départements, tel que le Préfet, sont fréquemment es qualités et sans aucune responsabilité personnelle leur incombant assignés en raison de leur fonction; que c'est à titre et en qualité de Conservateur des Hypothèques de P... que le conservateur a été assigné ; qu'à ce sujet aucune disposition de loi n'imposait au demandeur de faire sa procédure contre le Conservateur des Hypothèques nommément désigné ; que par ailleurs aucune faute ne peut être retenue à la charge de B... pour avoir ainsi, pour le principal, dirigé sa procédure à la fois contre la dame C... et le Conservateur des Hypothèques, en vue de la radiation de l'inscription, le conservateur des hypothèques n'ayant, par ailleurs, pas de ce chef subi de préjudice particulier, alors surtout qu'il pouvait, au lieu de constituer avoué, laisser défaut, ce qui aurait été parfaitement son droit.

Par ces motifs:

Ordonne, au vu du présent jugement, la radiation aux frais de la dame C... par M. le Conservateur des Hypothèques de P... du privilège de copartageant.

Dit et juge d'autre part, en ce qui concerne le Conservateur des Hypothèques de P..., qu'il n'avait pas à être nommément désigné pour la régularité de la procédure à laquelle il n'était appelé en déclaration de jugement commun, au sujet de la partie du procès concernant demande de radiation de l'inscription, qu'en qualité de sa fonction de Conservateur des Hypothèques de l'arrondissement de P...

Dit et juge par ailleurs, qu'en l'appelant à la procédure, le demandeur n'a commis aucune faute et que le Conservateur n'a subi aucun préjudice dans cette procédure où il aurait pu, s'il l'entendait, et comme tel était son droit, laisser défaut.

Dit en conséquence dès maintenant n'y avoir lieu à allocation de dommages-intérêts réclamés par le Conservateur à B...

Les dépens du procès étant réservés en fin de cause.

Observations - I. - Notre collègue avait, comme il arrive trop souvent, été assigné impersonnellement. Voyant dans cette circonstance une irrégularité, il en avait tiré argument pour conclure à la nullité de l'assignation.

Le tribunal n'a pas admis ce point de vue et pour motiver sa décision, il assimile la situation du Conservateur à celles d'autres fonctionnaires. " Attendu, observe-t-il qu'en des procédures en responsabilité, des directeurs de fonctions publiques ou des chefs de département tel que le Préfet, sont fréquemment ès qualités et sans aucune responsabilité personnelle leur incombant assignés en raison de leur fonction ".

Cette assimilation montre clairement que les juges n'ont pas compris la situation particulière des Conservateurs des Hypothèques.

Lorsque le directeur d'un service public ou le Préfet sont assignés en justice ès qualité, c'est en réalité contre la collectivité qu'ils représentent qu'est dirigée l'assignation. En cas de condamnation, c'est contre cette collectivité, et contre elle seule, qu'elle sera exécutée et cette exécution sera assurée indifféremment par le fonctionnaire assigné ou éventuellement par son successeur. Peu importe par conséquent la personnalité du représentant de la collectivité en cause et il n'y a dès lors aucune raison d'indiquer son nom dans l'assignation.

Toute différente est la situation du Conservateur des Hypothèques

" Chargé d'assurer l'exécution du service hypothécaire, il exerce ses fonctions non pas au nom de l'Etat qui l'a nommé, mais en son nom personnel. La situation est, à cet égard, comparable à celle d'un officier ministériel. En cas de faute commise dans l'accomplissement des formalités, c'est lui, et non l'Etat, qui en assure la responsabilité et il en doit réparation sur ses biens personnels.

Par ailleurs aucune solidarité ne lie les titulaires successifs d'une même conservation et un conservateur des hypothèques n'a aucune qualité pour représenter en justice ses prédécesseurs ou ses successeurs éventuels.

Une assignation en justice ne peut dès lors être dirigée que contre un conservateur déterminé.

Ceci posé, faut-il en déduire que l'assignation doit indiquer, à peine de nullité, le nom du conservateur assigné ?

Pris à la lettre l'Art. 61 du Code de procédure civile permettrait de répondre à cette question par l'affirmative. Il a cependant été reconnu qu'il était satisfait aux exigences de ce texte lorsque l'assignation, sans mentionner effectivement le nom du défendeur, renfermait des énonciations qui ne permettent aucun doute sur son identité (Cass. civ. 25 juillet 1860, D.P 60-1-330; crim. 24 mai 1879, D.P. 79-1-273; Paris, 17 octobre 1917, D.P. 1917-2-133 ; rappr. ; civ. 31 décembre 1873, D.P. 74-1-85)

Peut-être, dès lors, pourrait-on soutenir que l'assignation signifié à " M. le Conservateur X... ", au siège de la Conservation, ne peut viser que le Conservateur en exercice à la conservation désignée, lequel est la seule personne répondant à ladite qualification au jour de l'assignation.

Néanmoins un jugement du Tribunal de Versailles du 2 décembre 1936 (Journ. Cons. 11943) s'est prononcé en sens contraire.

En tous cas, qu'elle soit ou non indispensable à la validité de l'assignation, l'indication du nom du conservateur est nécessaire en fait. Elle est, en effet, de nature à mettre en relief la personnalité du conservateur intéressé à l'instance et à prévenir les confusions auxquelles risque de donner naissance le caractère impersonnel des actes de la procédure et dont un exemple caractéristique est fourni par l'affaire terminée par un arrêt dé la Cour d'Appel d'Alger du 16 novembre 1949 (Bull. A.M.C., art. 56).

II. - Un Conservateur des Hypothèques ne peut être appelé dans une instance en radiation entre parties à seule fin que le jugement qui ordonnera cette formalité lui soit opposable. Dans une telle hypothèse, il doit être mis hors de cause pour les motifs rappelés dans les observations formulées à la suite d'un jugement du Tribunal de Bordeaux du 22 décembre 1949, à l'Art. 7 du Bulletin (V. cg Toulon, 20 juin 1951, Bull. A.M.C., art. 93.) Le Conservateur peut sans doute faire défaut, comme le rappelle le jugement.

Néanmoins cette attitude, si elle ne peut être considérée en droit comme un acquiescement à la demande, risque en fait de laisser supposer que le défendeur n'a aucun argument à opposer à son adversaire.

Au surplus, la bonne administration de la justice requiert qu'une personne assignée vienne faire connaître aux juges ses moyens de défense.

On peut dès lors s'étonner de voir un Tribunal considérer le défaut comme un procédé normal de défense pour le défendeur qui s'estime assigné à tort.

Annoter : C.M.L. n° 1399-C; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 57.