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ARTICLE 549

INSCRIPTIONS.

Hypothèque judiciaire provisoire. - Préemption triennale.
Application aux inscriptions requises avant l'entrée en vigueur de la loi du 6 février 1957.

ARRET DE LA COUR D'APPEL D'ANGERS DU 22 MARS 1962.

LA COUR,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par les consorts Lorilleux d'un jugement du Tribunal de Grande Instance d'Angers, en date du 10 juillet 1961, qui, déclarant la commune d'Avrillé et la Société Angers-Nantes Immobilier recevables et fondées en leur demande, a décidé que se trouvait périmée depuis le 24 décembre 1958 l'inscription provisoire d'hypothèque prise par les consorts Lorilleux à titre de mesure conservatoire au Bureau des Hypothèques d'Angers, a ordonné la publication de sa décision en conformité des règles de la publicité foncière et les a condamnés aux dépens ;

Attendu que les appelants concluent à l'irrecevabilité des demandes des intimées et subsidiairement à la validité de leur inscription hypothécaire ainsi qu'au rejet de la demande en mainlevée de cette inscription, formée à titre subsidiaire par la commune d'Avrillé ;

Que les intimées sollicitent toutes deux la confirmation de la décision entreprise, la Société Angers-Nantes Immobilier s'en rapportant par ailleurs à justice sur le mérite de la demande subsidiaire de cette commune ;

Attendu qu'apparemment créanciers de la société ci-dessus rappelée, en raison de l'inexécution par elle de ses obligations de lotisseur du parc de la Mayen à Avrillé, dont ils sont devenus propriétaires pour partie, Gaston Lorilleux et sa fille Madeleine, actuellement épouse David, se sont vus, par ordonnance du président du Tribunal civil d'Angers du 23 décembre 1955, autorisés à prendre contre cette société une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire, en application de l'art. 54 du Code de procédure civile, sur les immeubles appartenant à celle-ci concernant son lotissement, pour sûreté de leur créance évaluée provisoirement en principal, intérêts et frais, à la somme de un million d'anciens francs ;

Qu'ils ont pris dès le lendemain cette inscription, laquelle fut régulièrement transcrite au Bureau des Hypothèques d'Angers, sous le n° 52 du volume 1953 ;

Qu'étant devenus acquéreurs du restant du terrain dépendant de ce lotissement, suivant actes notariés, l'un du 26 mars 1956, l'autre des 9 et 14 février 1959, tous deux régulièrement transcrits au Bureau des Hypothèques d'Angers, la commune d'Avrillé les fit, après une procédure en référé reconnue inutile, assigner devant le Tribunal de Grande Instance d'Angers en vue de faire constater la péremption de leur inscription, comme n'ayant pas été renouvelée en temps utile, et subsidiairement de voir ordonner la mainlevée partielle de leur hypothèque ;

Qu'appelée ultérieurement par elle en déclaration de jugement commun, sa venderesse, la Société Nantes-Angers Immobilier, a déclaré se joindre en tant que de besoin à sa demande principale, et s'en rapporter à justice sur le mérite de sa demande subsidiaire ;

Sur la recevabilité de l'action...

Sur la préemption de l'inscription hypothécaire des consorts Lorilleux ;

Attendu que les consorts Lorilleux soutiennent que leur inscription, prise antérieurement à la loi du 5 février 1957, venue abroger celle du 12 novembre 1955 et modifier l'article 54 du Code de procédure civile, ne se trouvait point soumise au renouvellement triennal exigé par la loi nouvelle, que sa validité resterait comme par le passé de dix années :

Mais, attendu que les lois qui assujettissent à des formalités nouvelles la conservation d'un droit réel, tel qu'une hypothèque, s'appliquent sans qu'il y ait en cela effet rétroactif, au sens légal du mot, aux droits nés sous l'empire d'une législation qui n'exigerait pas ces formalités ;

Attendu que vainement les consorts Lorilleux invoqueraient qu'ils ont un droit acquis à l'ancienne législation au motif qu'il serait porté atteinte par la loi nouvelle à l'étendue de leur garantie, celle-ci se trouvant désormais limitée rétroactivement par l'inscription définitive aux sommes conservées par l'inscription judiciaire, et non, comme par le passé, étendue au montant intégral de cette seconde inscription ; que, par arrêt de cette Cour en date du 5 février dernier, leur créance a été définitivement fixée à raison de 9.797,25 NF pour le père et à 250 NF pour la fille, outre les intérêts et dépens de leur instance en paiement, soit une somme de près de 18.000 NF, somme en tout cas de beaucoup supérieure au montant de la créance garantie par leur inscription provisoire ;

Qu'ils ne sauraient en effet se prévaloir en la cause d'une situation juridique acquise, leur inscription n'étant que provisoire et leur créance n'ayant pas encore été définitivement fixée lors de la promulgation de cette loi nouvelle ;

Qu'à tort, toutefois, les magistrats du premier degré ont-ils cru devoir en inférer, au mépris du principe de la non-rétroactivité des lois, dicté par l'article 2 du Code civil, que la péremption de l'inscription des consorts Lorilleux se trouvait acquise dès le 25 décembre 1958, soit trois ans même après la date à laquelle elle avait été prise ;

Que la loi du 5 février 1957, en dehors de toutes dispositions transitoires expresses, ne pouvait disposer que pour l'avenir ;

Que, n'ayant pas été renouvelée dans les trois ans de sa promulgation, ladite inscription se trouvait ainsi périmée à la date du 6 février 1960, qu'à cette date, la créance des consorts Lorilleux ne se trouvait pas encore définitivement fixée et qu'aucune inscription définitive ne pouvait encore être prise par eux ;

Qu'il échet donc de confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le bien-fondé de cette péremption, mais non en ce qui concerne sa date ;

Que la demande principale de la commune d'Avrillé étant accueillie, sa demande subsidiaire ne saurait être prise en considération et qu'il n'y a pas lieu de statuer sur elle ; que le présent arrêt doit être déclaré commun à la Société Angers-Nantes Immobilier régulièrement appelée en la cause à cette fin ;

PAR CES MOTIFS :

En la forme reçoit les consorts Lorilleux en leur appel, au fond les en déboute ;

Déclare l'action de la commune d'Avrillé recevable comme ayant été exercée en application de l'article 1166 du Code civil, dit que celle-ci ne s'est point trouvée arrêtée du fait de l'appel en déclaration de jugement commun de la Société d'Anger-Nantes Immobilier ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré périmée l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire prise par les consorts Lorilleux en conformité de l'article 54 du Code de procédure civile, sur les terrains ayant appartenu à la Société Angers-Nantes Immobilier, et transcrite au Bureau de la Conservation des Hypothèques d'Angers sous le numéro 5. du volume 1953 ;

Emendant, dit et juge que la péremption de cette inscription a été acquise, non à la date du 25 décembre 1958, mais à la date du 6 février 1960, soit trois années après la date de la promulgation de la loi du 5 février 1957; venue abroger la loi du 12 novembre 1955 ;

Confirme pour le surplus la décision déférée sur la publicité des mesures ordonnées :

Déclare le présent arrêt commun à la Société Angers-Nantes Immobilier ;

Condamne les consorts Lorilleux aux dépens d'appel.

Observations. - L'art. 54 du Code de procédure civile, dans sa rédaction originaire (loi n° 55-1475 du 12 novembre 1955 ; Bull. A.M.C., art.237), était muet quant au délai de la péremption des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoire. Le délai était par suite celui du droit commun, soit dix ans.

La loi n° 57-115 du 6 février 1957 (Bull. A.M.C., art.282 modifiant l'art. 54 du Code de procédure civile, a réduit ce délai à trois ans.

Dans le commentaire de cette dernière loi, publié au Bulletin, sous l'art. 282, a été exprimé l'avis que la réduction à trois ans du délai de la péremption était applicable aux inscriptions prises avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle et que, pour ces dernières inscriptions, la péremption triennale avait pris cours uniformément à la date de l'entrée en vigueur de la loi du 6 février 1957.

L'arrêt reproduit ci-dessus confirme cette interprétation.

V., dans le même sens : B.A. 1957-I-7485 § II ; J.-C. P. 1963-IV-3499.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 547 IV (feuilles vertes).