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ARTICLE 593.

PUBLICATION D'ACTES

Actes à publier.
Demande en justice tendant à la reconnaissance d'un droit de propriété acquis par prescription.

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE VERSAILLES DU 21 JANVIER 1964.

Le Tribunal,...

Attendu qu'il est constant que Favre Pierre-Louis, demandeur, a, suivant exploit du 28 novembre 1963, fait assigner dans le délai de 3 mois prévu par la loi en raison du domicile du défendeur, Favre Jean-Louis, son père, importateur, demeurant à Buenos Aires (Argentine), pour faire déclarer acquise contre ce dernier la prescription acquisitive d'une propriété sise à Viroflay, 22, avenue Gaugé, par application des dispositions de l'article 2262 du Code Civil ; qu'ayant présenté cette assignation au Bureau de la Conservation des Hypothèques de V... en vue de sa publication il s'est vu opposer un refus fondé sur l'inapplicabilité des dispositions du décret du 4 janvier 1955 à cette assignation comme exorbitante du champ d'application de ce texte ;

Attendu que le demandeur soutient qu'il est fondé à obtenir la publication réclamée conformément, sinon à la lettre, mais à l'esprit de la loi dont le but poursuivi et exprimé par le législateur est l'information et la protection de tiers ; qu'il importe d'éviter en ce qui le concerne, que l'immeuble soit vendu par le propriétaire dont le droit est contesté pendant la durée de l'instance et que les tiers acquéreurs éventuels soient informés de cette menace pesant sur leur acquisition projetée ; qu'à l'appui de sa prétention il invoque les dispositions de l'article 37 du décret aux termes duquel certaines assignations peuvent être publiées et dont il déclare qu'il y a lieu d'étendre à l'assignation délivrée le bénéfice de la publicité en dépit du silence de la loi à son égard ;

Attendu que le Conservateur des Hypothèques conteste le bien-fondé de la demande ;

Attendu qu'au soutien de l'irrecevabilité, il invoque l'absence de mise en cause du propriétaire, objet de l'assignation, déclarant que la publication d'un acte venant à modifier éventuellement l'état d'un immeuble ne peut être faite que si cette publication est requise par les parties ou imposée par autorité de justice ;

Attendu que ce moyen ne saurait être accueilli ;

Attendu que la demande vise le Conservateur personnellement en vue de le contraindre à l'exécution de la loi ; que la mise en cause du propriétaire visé par l'assignation n'est pas nécessaire à la solution du litige et que seul ce propriétaire est fondé à ce prévaloir de son absence dans la cause ;

Attendu au fond que le Conservateur invoque à l'appui de son refus l'absence dans l'énonciation des actes et documents à publier de la mention de l'assignation tendant à la reconnaissance d'un droit de propriété acquis par voie d'usucapion ; qu'il fonde ce refus sur le caractère de droit étroit des dispositions du décret du 4 janvier 1955 et, par voie de conséquence, sur le caractère strict et limitatif des énonciations claires et précises contenues non seulement dans les articles 28, 35, 36 mais encore celles de l'article 37 visant les actes dont la publication est seulement possible ;

Attendu que ce moyen est fondé;

Attendu que le demandeur, bien que ne méconnaissant pas le caractère limitatif des actes et documents visés par les articles 28, 35 et 36 du décret, tend à faire reconnaître le caractère purement énonciatif de l'article 37 ;

Attendu que, nonobstant le but poursuivi par la loi de la protection des intérêts des tiers, le caractère exceptionnel des mesures de la publicité organisée interdit d'en étendre le champ d'application ;

Attendu que le défendeur relève exactement que le souci de la protection des tiers ne saurait, par une multiplication des actes soumis à publicité résultant d'une interprétation extensive des textes, paralyser de façon aussi dangereuse qu'arbitraire la libre circulation des biens fonciers ;

Attendu en effet que la protection recherchée entraîne corrélativement une limitation de l'exercice du droit de propriété qui ne saurait se justifier sans un texte exprès ; que le principe de la liberté des conventions, celui de l'effet relatif des contrats et de la liberté d'ester en justice, n'autorise pas d'imposer de plus amples mesures de publicité que celles fixées par la loi :

Attendu qu'à bon droit le caractère limitatif des énonciations des actes à publier peut encore être tiré des termes de l'article 39 du décret relatif à la publicité des actes antérieurs à sa promulgation qui dispose que pourront être publiés volontairement les actes " qui n'étaient pas soumis à la publicité sous le régime antérieur mais qui l'auraient été soumis ou admis " en vertu du décret ; que l'admission ainsi précisée par le texte de cet article confirme l'intention du législateur de limiter les actes dont la publicité est nécessaire ou possible :

Attendu qu'en fin l'interdiction d'extension du champ d'application de l'article 37 est révélée par la nécessité du recours au législateur ainsi qu'il résulte des dispositions modificatives et extensives de ce texte par le décret du 7 janvier 1959 :

Attendu qu'il ne peut être fait droit à la demande,

Par ces motifs,

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire en matière ordinaire et en premier ressort :

Déclare Favre recevable mais non fondé en sa demande et l'en déboute :

Condamne Favre aux dépens du présent jugement dont distraction au profit de M° Sillard, avoué, aux offres de droit.

Observations. - La stricte application des dispositions du décret du 4 janvier 1955 permet sans doute de soutenir que seuls peuvent être admis à la formalité les actes dont la publication est prescrite ou autorisée par ces dispositions. Avant le Tribunal de Versailles, dont la décision est reproduite ci-dessus, le Président du Tribunal Civil de Segré (ordonnance du 12 mars 1958, Bull. A.M.C., art. 328) et le Président du Tribunal Civil de Nice (deux ordonnances des 4 octobre et 28 décembre 1958 ; Bull. A.M.C., art. 441 2° et 3° espèces) se sont prononcés en ce sens. Mais le Tribunal Civil de la Seine a statué en sens contraire (jugement du 26 novembre 1958 : Bull. A.M.C., art. 441, 1ere espèce) et a jugé qu'un acte dont la publication n'est prévue par la loi ni à titre obligatoire ni à titre facultatif, peut néanmoins être publié aux risques du requérant.

En publiant les décisions sus-visées, nous avons exposé les motifs pour lesquels la seconde interprétation est, à notre avis, celle qui présente le moins de danger pour le Conservateur et qui, pour ce motif, nous paraît devoir être préférée (Bull. A.M.C,, art. 328 et 441, observations : Rappr.. art. 449, observations).

Pour ce qui concerne spécialement le jugement du Tribunal de Versailles, " convient, pour répondre à l'un des motifs de la décision, d'observer que, dans le cas de demande en justice mettant en cause les droits du propriétaire d'un immeuble, ce qui est de nature à faire obstacle à la libre circulation de l'immeuble en cause, c'est la demande en justice elle-même et non par sa publication. Celle-ci ne fait que révéler un risque existant et, en s'abstenant de publier les demandes dont il s'agit, on lèverait sans doute apparemment l'obstacle ; mais ce résultat serait obtenu aux dépens des tiers qui risqueraient, par la suite, de voir annuler le titre de la personne avec laquelle ils auraient contracté et auxquels on aurait laissé ignorer ce risque. Or, c'est précisément pour informer les tiers du risque dont il s'agit qu'a été prévue la publication des demandes en justice qui peuvent entraîner l'anéantissement d'un droit de propriété immobilier.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 734-A-II (feuilles vertes) 835 et 837-A-II (feuilles vertes).