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ARTICLE 596

INSCRIPTIONS EN RENOUVELLEMENT.

La responsabilité du Conservateur des hypothèques à l'occasion du refus, notamment du refus de renouvellement d'inscriptions d'hypothèques légales ou judiciaires sur biens à venir.

Tel est le titre sous lequel, dans la Semaine Juridique (64, I. 1881), prenant prétexte, une fois de plus, de l'affaire Arnodet, qui a modifié l'ordonnance de référé de Privas du 15 mars 1962 (Bull. A.M.C, 527, J.C.P. II 12615) infirmée par la Cour de Nîmes le 24 avril 1963 (Bull. A.M.C. 548, J.C.P. II. 13293), M. Béchade revient sur la question de la responsabilité alors encourue, d'après lui, par le conservateur et, en conseillant l'acceptation du bordereau de renouvellement d'une inscription d'hypothèque légale de femme mariée, prise uniquement sur les biens à venir, préconise la création d'une fiche spéciale pour la délivrance de semblables renouvellements,

Sa bonne foi n'étant pas douteuse, notre collègue n'a certainement pas eu l'intention d'inciter les usagers (qui n'y sont que trop portés) mettre en cause le conservateur sans motifs sérieux. Toutefois, étant donné l'audience qu'ont, à juste titre, les opinions émises dans la Semaine Juridique et le fait que les arguments développés par M. Béchade dans l'étude J.C.P. I. 1642 et les observations sous Privas, référé, précité, ont été repris devant la Cour de Nîmes, il paraît utile de préciser certains points de nos observations publiées sous les numéros 527, et 548 du Bulletin.

A l'appui de son opinion, M. Béchade part de ce principe incontestable que, lorsqu'un créancier bénéficiaire d'une hypothèque perd sa créance parce qu'il a perdu la garantie que l'inscription lui conférait, il y a lieu de rechercher quel est le responsable du préjudice subi. Mais il en tire une déduction erronée en paraissant conclure que ce ne peut-être qu'un " organisme public " et particulièrement le conservateur qui a refusé le renouvellement de l'inscription.

En effet, pour les besoins de sa cause, il oublie que ce peut être le créancier s'il omet de requérir l'inscription ou si, ce qui revient au même, il ne la prend point ou ne la renouvelle point conformément aux prescriptions légales. Dans ces cas, le conservateur n'est en rien responsable de l'omission de l'inscription, de même qu'il ne l'est pas davantage pour son refus de publication, s'il a l'obligation de l'opposer.

Or, il en était ainsi, en l'espèce, puisque Mme Arnodet requérait le renouvellement de son inscription d'hypothèque légale contre son ex-mari postérieurement au 1er janvier 1956 (donc sous le nouveau régime) uniquement sur les biens à venir de celui-ci.

Pour soutenir qu'elle avait le droit de requérir ainsi, notre collègue croit pouvoir tirer argument de ce que le premier alinéa du nouvel article 2154 du Code civil rappelle la règle de l'ancien article 2154, lequel accordait au créancier inscrit la possibilité de conserver le bénéfice de sa garantie hypothécaire tout le temps qui lui serait nécessaire (c'est-à-dire tout le temps de sa créance) à condition de renouveler et qu'il lui paraît inadmissible, qu'après avoir ainsi posé la règle, les auteurs du décret de réforme aient entendu rendre impossible le renouvellement.

Ce n'est exact qu'en partie, car l'article 24 (et non 23) du décret du 4 janvier 1955 a expressément " remplacé l'ancien article 2154 civ. par les dispositions suivantes, c'est-à-dire en ajoutant au premier alinéa de l'article 2154, littéralement reproduit, que le renouvellement doit avoir lieu " dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". Ce décret détermine notamment les énonciations que doivent contenir les bordereaux de renouvellement, ainsi que les modalités du refus du dépôt ou du rejet de la formalité.

On ne peut donc plus conclure (comme sous l'ancien régime) du silence sur ce point de l'ancien article 2154 civ. qu'il n'est pas nécessaire que l'inscription, prise en renouvellement, contienne toutes les énonciations que l'article 2148 civ. exige pour l'inscription primitive. Faute de dérogation - si ce n'est pour les inscriptions antérieurement dispensées de renouvellement (3° alinéa de l'article 2154) - tous les renouvellements d'inscription requis postérieurement au 1er janvier 1956 sont soumis aux nouvelles règles édictées par les articles 61 et suivants du décret du 14 octobre 1955 (pris en application de l'article 2154 civ.). Ainsi que l'a jugé la Cour de Nîmes, le refus du conservateur de publier le renouvellement de l'inscription d'hypothèque légale de la dame Arnodet était fondé comme ne mentionnant pas la désignation individuelle des immeubles grevés, conformément à l'article 2154 civ.

Sans doute parce que cet arrêt se borne à indiquer que l'article 38 du décret du 4 janvier 1955 n'est pas applicable à la forme et au libellé du bordereau, M. Béchade croit pouvoir soutenir que, par cet article " les auteurs du décret ont entendu maintenir à ces hypothèques (légales ou judiciaires) leurs effets tels qu'ils résultaient de la législation ancienne, c'est-à-dire en ce que ces hypothèques portent sur les biens à venir : effet immédiat sur les immeubles du grevé au fur et à mesure de leur entrée dans le patrimoine du débiteur, grâce à la possibilité d'une inscription anticipée ", ce qui évidemment n'est plus possible si on ne peut renouveler l'inscription sur les biens à venir.

C'est confondre les effets des hypothèques légales ou judiciaires en tant qu'elles peuvent atteindre les biens à venir et leurs effets en tant qu'elles peuvent les grever, en principe elles ne peuvent les grever qu'en prenant une inscription conforme aux prescriptions légales en vigueur au moment où elles sont requises.

Car faute de disposition ou de dérogation expresse (comme la loi du 27 juillet 1921 pour la transcription des actes s.s.p. antérieurs à la loi, ou par l'article 68 du décret du 14 octobre 1955 pour ceux antérieurs au 1er janvier 1956), il est de règle que, lorsqu'une loi nouvelle intervient au cours de la création ou de l'extinction d'une situation juridique, elle a un effet immédiat en ce qui concerne les nouvelles conditions de fond ou de forme qu'elle impose pour la création ou l'extinction de cette situation (Roubier, J. Cl. civ., art. 2 n° 83 ; Nouv. Rep. Dalloz, V° Lois n° 73 et 81). Il en est ainsi notamment pour les mesures réglementaires ordonnées par la loi nouvelle en vue de définir comment les droits peuvent désormais être exercés (Voir pour l'inscription : Rép. Prat. Dalloz, V° Priv. et Hypothèques n° 318 et 475 ; Cass. 7 mai 1823, S. 1824-I-III et pour l'inscription d'hypothèque légale : Agen 5 mai 1858, D. 59-2-66 : J. Conserv. 1498 ; Cf. Cass. ch. réunies 13 janv. 1932, D. 32-1-18).

Or, en l'espèce, bien loin de renforcer, si peu que ce soit, l'argumentation tirée du mot " effet ", divers articles du décret s'y opposent. plus ou moins formellement. Ce sont les articles 2146, 2148 et 2154 C. civ., les articles 7 et 34 du Décret du 4 janvier 1955 ; les articles 30, 61 et suivants, 76 du Décret du 14 octobre 1955 et surtout l'article, 38 du Décret du 4 janvier 1955 en tant qu'il précise, à la fin du 2° alinéa : " de même tout bordereau déposé à partir de la même date (1er janvier 1956) devra être conforme aux dispositions des articles 2146, 2148 et 2154 nouveaux du Code civil c'est-à-dire, en particulier, devra individualiser les immeubles qui doivent être grevés. Et cela sous peine de refus, obligatoire en principe pour le conservateur des hypothèques, édicté sans restriction par les articles 2148 civ. 5° al. ; 34-2 du Décret du 4 janvier 1955 ; 64-1-3° du Décret du 10 octobre 1955 et 3, 4, 6-5 du Décret du 30 décembre 1955.

D'autant, qu'en acceptant une semblable inscription en renouvellement, non seulement le conservateur engagerait sa responsabilité puisqu'il ne se conformerait point à ses obligations légales, mais il se mettrait dans l'impossibilité d'annoter son fichier immobilier, comme il lui est prescrit, du fait qu'il ne pourrait établir des fiches d'immeubles ou de fiche parcellaire faute d'identification des immeubles grevés.

A cela notre collègue répond qu'il est facile d'y suppléer, car " il suffirait de relever sur une fiche, au fur et à mesure, et par ordre alphabétique, les noms de tous les grevés d'une hypothèque légale ou judiciaire sur biens à venir ayant fait l'objet d'un renouvellement d'inscription antérieure à 1956, en portant les indications nécessaires pour identifier cette inscription ".

Une semblable suggestion ne saurait être retenue : tant parce qu'elle est incompatible avec les règles qui régissent la tenue du fichier immobilier, que parce qu'elle introduirait, si peu que ce soit, dans la publicité hypothécaire, un élément d'imprécision contraire au but essentiel de la réforme, à savoir : aboutir au plus haut degré de précision possible en éliminant les causes d'imprécision de l'ancienne publicité, que parce qu'elle empêcherait de substituer complètement la publicité réelle à la publicité personnelle; enfin que, loin de diminuer " le risque d'une dangereuse recherche de responsabilité ", elle en créerait un plus réel puisqu'elle obligerait le conservateur à délivrer une inscription à l'occasion de toute réquisition d'inscription contre la débiteur, alors qu'elle serait inefficace si, comme en l'espèce, il n'avait encore aucun bien présent ou si elle ne pouvait grever l'immeuble désigné dans la réquisition parce que celui-ci ne serait pas un immeuble entré dans son patrimoine postérieurement à l'inscription. Et, pour sa défense, le conservateur n'aurait que l'opinion d'un auteur, rejetée par une Cour d'Appel et réfutée par les commentateurs de cet arrêt.

En résumé, il suit de ce qui précède : d'une part, qu'en refusant une inscription ou un renouvellement grevant des immeubles qui ne sont pas individuellement désignés, le Conservateur ne commet aucune faute puisqu'il à conforme à des prescriptions légales ou réglementaires impératives ; d'autre part que, depuis le 1er janvier 1956, par application des articles 2122 et 2123 Civ., un créancier bénéficiaire d'une hypothèque générale (légale ou judiciaire) ne peut requérir inscription ou la renouveler sur un bien à venir que lorsque l'immeuble est entré dans le patrimoine de son débiteur. Jusque là il n'a qu'une expectative du droit de le grever ; de sorte que, si on le lui refuse, il n'y a pas lésion d'un droit juridiquement protéger ce qui ne lui donne pas le droit de réclamer, à qui que ce soit, la réparation du préjudice qu'il peut subir (Cf Civ. 27 juin 1937, D. 38- 1 -50 --- 21 oct. 1952, J.C.P. 53-II-7592). De sorte que toute action en responsabilité à l'encontre du conservateur manque de base juridique. Cela ne suffit point pour l'éviter, mais suffit pour qu'on n'en ait point grand souci.

Annoter : C.M.L. 2° éd. n° 611 et 618 (feuilles vertes) n° 490 Ah, An n° 609.