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ARTICLE 614

PROCEDURE

Inscription provisoire d'hypothèque judiciaire.
Radiation ordonnée par le Président du tribunal.
Litige au sujet de l'exécution de la radiation. - Juge des référés incompétent.

TRIB. GR. INST. TOULON, REF., 15 MAI 1964.

Nous, Président,

Attendu que le conservateur des hypothèques, soutenant que l'action dirigée à son encontre est une action en responsabilité, soulève notre incompétence et, par conclusions déposées à notre barre, s'oppose à l'examen de la question de savoir s'il y a lieu à radiation partielle ou totale de l'inscription hypothécaire litigieuse ;

Attendu que dans les motifs de l'assignation dont nous sommes saisi, la Société civile immobilière " Les Hespérides " soutient qu'en refusant de procéder à la radiation entière et définitive de l'inscription hypothécaire, le conservateur a commis une faute personnelle et que ce seul moyen est invoqué à l'appui de la demande tendant à la condamnation sous astreinte du conservateur des hypothèques, à procéder à ladite radiation ;

Attendu qu'en la forme où cette demande est formulée, ceci tend obligatoirement à faire reconnaître la faute qu'aurait commise le conservateur ; que la société demanderesse invoque le préjudice matériel et moral que lui cause le refus par le conservateur de procéder à la radiation ; qu'elle vise expressément, à l'appui de sa demande, les dispositions de l'article 9 de la loi du 21 ventôse an VII;

Attendu sans doute que le juge des référés, comme toute juridiction, a compétence pour interpréter ses décisions; que cependant cette interprétation ne peut intervenir que dans la mesure où la décision judiciaire contient une imprécision ou une ambiguïté ; que tel ne paraît pas être le cas en l'espèce de notre ordonnance ordonnant, sur justification d'une consignation de 83.475,86 F, la radiation de l'inscription hypothécaire prise par U... en vertu des ordonnances des 7 octobre 1963 et 19 décembre 1963 ; qu'au surplus, une décision interprétative ne peut être requise qu'en présence de toutes les parties entre lesquelles a été rendue la décision soumise à interprétation ; que le créancier U... n'est ni présent, ni représenté à l'instance actuelle ; qu'à notre barre enfin, la Société civile immobilière " Les Hespéride. " proteste contre toute tentative d'interprétation de notre ordonnance du 17 janvier 1964 ;

Attendu que quelque grave que soit le péril en la demeure le juge des référés est incompétent pour constater la faute du conservateur des hypothèques et statuer sur sa responsabilité ; que cette faute et cette responsabilité étant le seul fondement de la demande dont nous sommes présentement saisi, nous sommes incompétent pour en connaître ;

Attendu que la Société civile immobilière " Les Hespérides " doit être condamnée aux entiers dépens ;

Par ces motifs ;

Nous déclarons incompétent ;

Renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront ;

Condamnons la Société civile immobilière " Les Hespérides " aux dépens de l'instance.

Observations. - Par ordonnance du 17 janvier 1964, le Président du tribunal de grande instance de Toulon, statuant dans les conditions prévues à l'art. 50, 1er al. du Code de procédure civile (auquel se réfère l'art. 55, 2° al., du même Code) avait ordonné la radiation d'une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire.

Requis, en vertu de cette ordonnance, de procéder à la radiation totale de l'inscription en cause, notre collègue a estimé que, dans les termes où elle avait été ordonnée, la radiation ne pouvait être que partielle et il a en conséquence refusé de satisfaire à la réquisition. A la suite de ce refus, la société débitrice l'a assigné devant le Président qui avait ordonné la radiation pour faire juger qu'il avait commis une faute en refusant la radiation totale requise et pour obtenir en conséquence sa condamnation sous astreinte à effectuer cette radiation.

Ainsi qu'il l'a jugé, le Président du tribunal était incompétent pour statuer sur cette demande.

Tout d'abord, en la qualité en laquelle il a agi lorsqu'il a rendu l'ordonnance du 17 janvier 1964, ce magistrat ne pouvait pas se prononcer sur la nouvelle demande. La compétence que lui donnent les art. 54, trois derniers alinéas, et 55, 2° alinéa, du Code de Procédure civile, par dérogation à l'art. 2159 du Code civil, pour ordonner, dans certains cas déterminés, la radiation des inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire, a un caractère exceptionnel et doit être maintenue dans les limites que lui assignent les textes qui l'accordent. Elle ne peut être étendue en particulier aux actions en justice tendant à faire condamner le conservateur à effectuer une radiation.

Il était également incompétent si on le considère comme saisi dans les conditions prévues aux art. 805 et suivants du Code de Procédure civile. Dans le cadre de ces dispositions, il ne rend en effet que des décisions provisoires, non revêtues de l'autorité de la chose jugée et n'est par suite pas en mesure d'ordonner des radiations. (V. Etude de M. Masounabe-Puyanne : Le référé et la publicité foncière, J.C.P. 1963-I-1794-37; V. ég. observations sous les art. 434 et 594 du Bulletin).

Enfin le Président du tribunal, en quelque qualité qu'il agisse, n'était pas habilité à condamner le conservateur au paiement d'une astreinte. Cette condamnation ne pouvait, en vertu de l'art. 9 de la loi du 21 ventôse an VII, être prononcée que par le tribunal de grande instance.

La demanderesse ne pouvait donc qu'être, comme elle l'a été, déboutée.

Annoter : C.M.L. 2° éd. n° 1361-4° et 2049; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 26, page 400.