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ARTICLE 674

RADIATIONS.

Réforme des régimes matrimoniaux. - Loi du 13 juillet 1965.
Epoux mariés sous un régime de communauté.
Cas où le mari est habilité à donner, sans le concours de sa femme, mainlevée des inscriptions prises pour la garantie des créances communes.

Une note du Ministère de la Justice, publiée au Bulletin du Conseil Supérieur du Notariat du mois d'avril 1967, exprime l'avis que, sous l'empire des articles 1421 et 1424 nouveaux du Code Civil, un mari marié sous un régime de communauté est habilité à consentir, même sans constatation de payement, la mainlevée des inscriptions hypothécaires prises pour la garantie des créances communes.

Cet avis est en opposition avec celui qui a été formulé dans les articles 627 et 654 du Bulletin.

La note de la Chancellerie est ainsi conçue :

NOTE SUR LA MAINLEVEE DES HYPOTHEQUES.

" Il résulte des renseignements recueillis par la Chancellerie que certains conservateurs des hypothèques exigeraient le concours de la femme pour obtenir mainlevée d'une hypothèque inscrite par le mari en garantie d'une créance commune.

" Il apparaît qu'une telle pratique est contraire tant aux règles relatives à l'administration des biens communs qu'à celles édictées par l'article 222 du Code Civil.

" I. - L'article 1421 du Code Civil pose en principe que le mari administre seul la communauté et peut disposer seul des biens communs. Cet article prend soin de préciser que le pouvoir de disposition du mari sur les biens communs n'est mis en échec que dans les cas limitativement indiqués par les articles suivants.

" Les textes qui, à titre d'exception, restreignent ce pouvoir de disposition et notamment l'article 1424 du Code Civil qui limite le pouvoir du mari de disposer à titre onéreux des biens communs doivent, comme tous ceux qui consacrent des exceptions, recevoir une interprétation restrictive.

" Or, l'article 1424 prévoit seulement que le mari ne peut, sans le consentement de la femme, aliéner ou grever de droits réels, les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté ainsi que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité. Le mari ne peut également, sans ce consentement, percevoir les capitaux provenant de telles opérations.

" En matière hypothécaire, l'article 1424 interdit donc seulement au mari de consentir seul une hypothèque sur un immeuble commun.

" Mais il n'oblige en aucune façon le mari à obtenir le consentement de la femme à la mainlevée d'une hypothèque inscrite sur les immeubles d'un tiers en garantie d'une créance commune, telle qu'un prêt consenti avec des fonds communs.

" On ne saurait soutenir en effet que l'hypothèque prise en garantie d'une créance, ayant un caractère immobilier doit être assimilée à un immeuble commun. Une telle hypothèque qui n'est que l'accessoire d'une créance commune doit bien évidemment être soumise au même régime juridique que cette créance. Or, conformément au principe général exprimé par l'article 1421, le mari a la possibilité de disposer librement des créances dépendant de la communauté.

" Ce raisonnement est applicable aussi bien en ce qui concerne la mainlevée après paiement que la mainlevée avant paiement.

" On peut d'ailleurs remarquer que les solutions auxquelles il conduit s'imposent non seulement en droit, mais encore sont les seules satisfaisantes en pratique.

" Dans l'hypothèse d'une mainlevée après paiement, il serait difficilement concevable que le mari qui peut librement toucher le remboursement du prêt consenti avec des fonds communs ait ses pouvoirs limités pour tirer les conséquences de ce paiement.

" Il s'agit de mainlevée avant paiement, il serait paradoxal que le mari puisse consentir seul un prêt avec des fonds communs sans sûreté réelle et ne puisse pas, lorsqu'il a fait inscrire une hypothèque, en obtenir seul la mainlevée. En effet, s'il ne peut ne pas exiger une garantie réelle, il doit aussi pouvoir faire lever seul la garantie qu'il a obtenue. Adopter la solution inverse aurait en outre l'inconvénient d'inciter le mari pour conserver sa liberté d'action, à ne pas se faire garantir de sûreté, ce qui serait des plus fâcheux et ne serait manifestement pas conforme aux intérêts du ménage et au voeu du législateur.

" Il apparaît donc qu'il convient de ne pas exiger le consentement de la femme pour la mainlevée d'une hypothèque inscrite par le mari en garantie d'une créance commune.

" II. - Si les règles de la communauté permettent ainsi au mari commun de demander seul la mainlevée d'une hypothèque garantissant une créance commune, une solution analogue doit être retenue tant en faveur du mari que de la femme, sous tous les régimes matrimoniaux, en application de l'article 222, du Code Civil lorsque l'un des époux demande mainlevée d'une hypothèque garantissant une créance résultant d'un contrat auquel il a lui-même consenti et portant sur des biens meubles qu'il détient individuellement.

" Ainsi, par exemple, au cas d'un prêt consenti par un époux et garanti par une hypothèque qu'il a inscrite, celui-ci doit pouvoir en obtenir seul mainlevée sans qu'il soit nécessaire de rechercher quelle est, au regard du droit matrimonial, la nature des fonds prêtés.

" En effet, l'article 222 du Code Civil prévoit que si l'un des époux se présente seul pour faire un acte d'administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu'il détient individuellement, il est réputé, à l'égard des tiers, de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte.

" Cet article s'applique incontestablement aux sommes d'argent.

" Par suite, si l'un des époux détient des fonds, il est considéré comme ayant le pouvoir d'en disposer librement, soit en les prêtant, soit même en les consommant, abstraction faite du caractère propre ou commun desdites sommes.

" Dès lors, pour les raisons qui ont été exposées au I ci-dessus, il doit également pouvoir disposer seul de cet accessoire de la créance qu'est l'hypothèque qui la garantit.

" Cette solution est seule conforme à l'esprit de la loi du 13 juillet 1965 qui a voulu assurer à chacun des époux une indépendance beaucoup plus grande que par le passé. C'est précisément dans ce but qu'une présomption de pouvoir en faveur de chacun des conjoints a été posée, par les articles 221 et 222 nouveaux du Code Civil, qui, ainsi que cela a été affirmé à plusieurs reprises et avec une grande force au cours des travaux parlementaires, doivent être interprétés largement. "

Dans sa séance du 11 juin 1967, le Comité de l'A.M.C. a examiné cette note et, conformément aux propositions du Sous-Comité juridique, a décidé de s'en tenir à l'opinion exprimée dans les articles précités du Bulletin jusqu'à ce que la jurisprudence ait fixé l'interprétation à donner aux textes en cause.

Les motifs de cette décision sont exposés dans une lettre que le Président de l'A.M.C. a adressé au Président du Conseil Supérieur du Notariat, le 21 juin 1967, et qui est ci-après reproduite :

" Monsieur le Président,

" Le Bulletin du Conseil Supérieur du Notariat du mois d'avril 1967 a publié une note du Ministère de la Justice exprimant l'avis que, sous l'empire des articles 1421 et 1424 nouveaux du Code Civil, un mari marié sous un régime de communauté est habilité à consentir, même sans constatation de paiement, la mainlevée des inscriptions hypothécaires prises pour la garantie des créances communes. Cet avis est en opposition avec celui exprimé dans le Bulletin de mon Association (art. 627).

" Avant de vous exposer les observations auxquelles cette note donne lieu de la part de mon Association, je crois devoir formuler les deux remarques suivantes :

" Je suppose tout d'abord que, bien qu'elle ne le précise pas, la note la Chancellerie ne vise que le cas où la créance garantie n'est pas le prix de vente de l'un des biens visés à l'article 1424. Ce dernier article dispose en effet explicitement que le mari ne peut encaisser un tel prix qu'avec le consentement de sa femme. Il en résulte nécessairement que le mari a besoin de ce consentement pour donner valablement la mainlevée qui est la conséquence de ce paiement et, à fortiori, pour la donner sans constatation de paiement.

" Je souligne par ailleurs, pour répondre à l'observation qui fait l'objet du 9° alinéa du § I de la note, qu'il n'est pas contesté que le mari a qualité pour consentir seul la mainlevée d'une inscription garantissant une créance autre qu'un prix de vente entrant dans les prévisions de l'article 1424, lorsque cette mainlevée intervient après le paiement et que celui-ci est contesté dans l'acte (Bull., art. 627)., n° 7, a).

En conséquence, le seul point sur lequel mon Association est en désaccord avec le Ministère de la Justice me paraît concerner les mainlevées sans constatation de paiement portant sur des inscriptions prises pour la garantie de créances autres que des prix de vente régie par l'article 1424. C'est le seul qui sera examiné dans la présente lettre.

" I. - Pour justifier l'opinion qu'elle défend, la Chancellerie observe que l'hypothèque est un droit accessoire et considère qu'il en résulte en toute hypothèse qu'il suffit de posséder le pouvoir de disposer de la créance pour être capable de disposer aussi de l'hypothèque.

" Il importe tout d'abord de rappeler que cette manière de voir n'est par unanimement admise. Un certain nombre d'auteurs estiment que l'hypothèque perd son caractère accessoire et ne possède plus que son caractère immobilier, lorsqu'elle est détachée de la créance, et en tirent la conclusion que pour être habilité à disposer de l'hypothèque, droit immobilier, il est nécessaire de détenir le pouvoir d'aliéner les immeubles (Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil, t. XIII, n° 849 ; Josserand, Cours de droit civil positif français, t. II, n° 1820 ; Ch. Bendant, Cours de droit civil français, t. XIV, n° 1248).

" C'est la thèse qui a toujours été celle des conservateurs des hypothèques (Jacquet et Vétillard Introduction, n° 38, Précis Chambaz et Masounabe-Puyanne, 2° éd., n° 995) et qui a été adoptée par le tribunal civil de Liège (jugement du 12 juin 1886, Revue Hypothécaire, n° 28) et, plus récemment, par le tribunal de Grande Instance de Strasbourg (Jugement du 25 mai 1966).

" Sans doute, l'opinion défendue par le Ministère de la Justice et qui fait prévaloir le caractère accessoire de l'hypothèque sur son caractère immobilier a-t-elle aussi ses partisans (Aubry et Rau, Cour de droit civil français, 6° éd., t. III, § 281 ; Baudry Lacantinerie et de Loynes, Traité théorique et pratique de droit civil, du nantissement des privilèges et hypothèques, t. III, n° 1844).

" Mais, à supposer que cette opinion soit fondée, il en résulterait seulement que, pour renoncer à l'hypothèque, il suffit de détenir le pouvoir de renoncer à la créance. Il resterait encore à démonter que ce pouvoir peut être exercé par le mari seul, sans le concours de sa femme.

" La renonciation à une créance sans contrepartie est, en effet, un acte de disposition à titre gratuit. Or, l'article 1422 du Code Civil dispose que " le mari ne peut, même pour l'établissement des enfants communs, disposer, entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté sans le consentement de la femme ".

" Pour admettre que cet article n'interdit pas, en toute hypothèse, au mari de renoncer à une créance sans le consentement de sa femme, il faut l'interpréter comme ne visant que les dispositions à titre gratuit ayant le caractère d'une libéralité.

" Cette interprétation restrictive est sans doute celle qu'a défendu un auteur spécialisé, sous le régime antérieur à la loi du 13 juillet 1965, en exprimant l'avis que l'on ne doit pas présumer qu'une mainlevée sans constatation de paiement a le caractère d'une libéralité et que, par suite, l'article 1422 ne s'oppose pas à ce qu'une telle mainlevée soit consentie par le mari seul (Jacquet et Vétillard, V° Femme Mariée, n° 18-1, page 198). Mais l'interprétation contraire a aussi ses défenseurs (Revue hypothécaire, n° 3556 ; J.C.P. 1944 - IV - 203 § 10 et 1949 - IV - 772 ; V° dans le même sens : Liège 12 juin 1886, Revue hypothécaire, n° 28).

" Il n'est pas exclu que, sous le régime actuel, qui tend à restreindre les pouvoirs du mari sur les biens communs, l'article 1422 reçoive une interprétation plus littérale et que la jurisprudence décide, dans l'intérêt de la femme, que tout abandon de créance sans contrepartie nécessite le consentement de la femme. Le mari, n'ayant plus alors le pouvoir de renoncer seul gratuitement à une créance de la communauté, ne pourrait pas non plus consentir seul la mainlevée sans constatation de paiement d'une inscription garantissant une créance commune.

" Ainsi, la position adoptée par mon Association, trouve à s'appuyer :

" 1° Sur la thèse qu'elle a soutenue jusqu'à ce jour et selon laquelle l'hypothèque perd son caractère de droit accessoire lorsqu'elle est séparée de la créance qu'elle garantit ;

" 2° Sur la thèse contraire, au cas où il serait admis que l'article 1422 vise non seulement les donations caractérisées, mais encore toute disposition à titre gratuit.

" II. - Aux arguments d'ordre juridique développés dans la première partie de sa note, la Chancellerie, ajoute une observation de caractère pratique : " il serait paradoxal, observe-t-elle, que le mari puisse consentir seul un prêt avec des fonds communs, sans sûreté réelle, et ne puisse pas, lorsqu'il a fait inscrire une hypothèque, en obtenir seul la mainlevée ".

" La logique de cette observation est purement apparente.

" En réalité, les règles qui régissent l'acquisition d'un bien par la communauté sont différentes de celles applicables à l'aliénation des mêmes biens. C'est ainsi que le mari, qui a incontestablement la capacité nécessaire pour employer les deniers de la communauté en acquisition d'immeubles, ce peut, en vertu de la disposition formelle de l'article 1424, aliéner les immeubles ainsi acquis et même encaisser les fonds provenant de cette aliénation sans le concours de sa femme.

" Il n'est pas plus anormal que le mari, qui aurait pu consentir seul un prêt sans exiger de garantie réelle, ait besoin du concours de sa femme pour renoncer à une telle garantie lorsqu'il l'a obtenue.

" III. - Dans la seconde partie de sa note, le Ministère de la Justice cherche à tirer argument de l'article 222 nouveau du Code Civil au soutien de sa thèse.

" Le raisonnement qu'il développe à cet effet ne paraît pas plus convaincant que celui qui fait l'objet de la première partie.

" L'article 222 est ainsi conçu : " Si l'un des époux se présente seul pour faire un acte d'administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu'il détient individuellement, il est réputé, à l'égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte ".

" Il a pour objet de permettre à chacun des époux dé disposer seul des biens meubles dont il est détenteur, mais à l'égard desquels il lui serait souvent difficile d'apporter à son cocontractant la preuve de son droit de propriété.

" Il est sans utilité à l'égard des prêts d'argent consentis, par le mari. Même lorsqu'il s'agit de fonds dépendant de la communauté, le mari trouve en effet dans l'article 1421 du Code Civil, le pouvoir de passer l'acte de prêt sans le consentement de sa femme. Il ne lui est pas nécessaire de se prévaloir à cet effet de l'article 222.

" Cet article ne serait d'ailleurs pas de nature à changer quoi que ce soit aux règles actuellement suivies à l'occasion de la mainlevée des inscriptions prises pour sûreté de prêts de l'espèce.

" Lorsque le mari a consenti un prêt sans le concours de sa femme, ce prêt peut avoir donné naissance soit à une créance commune, soit à une créance propre. Dans le cas où l'origine des fonds prêtés n'est pas précisée, la créance est réputée commune, par application de l'article 1402 du Code Civil, s'il n'est pas établi qu'elle est un propre au mari.

" L'article 222 ne pourrait rien modifier à cette conclusion, puisqu'il ne régit que les rapports de l'époux contractant avec es tiers, mais non pas es relations des époux entre eux. Spécialement, dans l'hypothèse envisagée, il ferait présumer, s'il en était besoin (ce qui, on l'a vu plus haut, n'est pas le cas) que le mari avait qualité pour consentir seul l'acte de prêt, mais laisserait hors de son champ d'application le point de savoir si le mari avait agi pour son compte personnel ou pour celui de la communauté.

" Par conséquent, dans le cas d'une inscription requise au profit du mari seul en garantie d'un prêt, l'article 222 ne fait pas obstacle à ce que la validité de la mainlevée sans constatation de paiement consentie par le mari seul soit subordonnée à la preuve que la créance appartient en propre au mari.

" IV. - En définitive, rien dans la note du Ministère de la Justice n'est de nature à amener mon Association à revenir sur sa position.

" Si, de son côté, le Conseil Supérieur du Notariat croit devoir adopter l'interprétation de la Chancellerie, je pense que le mieux serait de faire trancher le plus tôt possible la difficulté par les tribunaux, en choisissant une espèce où la question de principe se poserait nettement et qui sera soumise au tribunal de grande instance, puis à la Cour d'Appel et, éventuellement, à la Cour de Cassation.

" Cette procédure exigera nécessairement un certain délai. Pour éviter de nouvelles difficultés dans, toute la mesure du possible, en attendant que la justice se soit définitivement prononcée, il serait souhaitable que le Conseil Supérieur du Notariat accepte - et conseille aux notaires d'accepter - à titre transitoire, l'interprétation de mon Association, étant donné qu'elle est la seule qui soit de nature à sauvegarder les intérêts en cause - et peut-être ceux des notaires eux-mêmes - quelle que soit l'interprétation qui doive finalement prévaloir.

" Je crois d'ailleurs utile de souligner à ce sujet, que, dès maintenant, les notaires acceptent généralement, soit de constater ou de relater, le paiement dans l'acte de mainlevée, soit, plus souvent, de faire comparaître la femme à cet acte. Les difficultés qui se produisent sont encore peu nombreuses : certaines ont été provoquées par la publication de la note du Ministère de la Justice ; les autres concernent des espèces où il s'agit effectivement de mainlevées sans paiement et où le mari se refuse à demander le concours de sa femme, ces dernières sont celles où la résistance du conservateur apparaît comme la plus justifiée.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 1080 et 1081 ; Jacquet et Vétillard, V° Femme mariée, n° 14, 16 à 20 et 22.