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ARTICLE 945

PUBLICITE FONCIERE

I. - Désignation des immeubles. - Vente d'une fraction indivise de terrain moyennant l'attribution au vendeur de fractions divises de la construction à édifier par l'acquéreur sur le terrain.
Désignation de ces fractions par référence à un état descriptif de division obligatoire.

II. - Effet relatif des formalités
Fractions d'immeubles attribuées à leur propriétaire en contrepartie de la vente d'une fraction indivise de terrain sur lequel l'immeuble a été construit par l'acquéreur.
formalité de publicité concernant ces fractions où l'acquéreur du terrain apparaît comme disposant ou dernier titulaire du droit. - Absence de titre. -Refus de publier.

ARRET DE LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE DU 10 MAI 197O

La Cour...

Attendu que dans l'acte du 31 octobre 1962, NIGGIO a vendu à la S.C.I. LE SOLEIL les 866/ 1.000 de son immeuble, se réservant 134/ 1.000 qui ont été " d'ores et déjà " définitivement affectés aux parties d'immeubles qui lui ont été données en paiement par la S.C.I. LE SOLEIL (à savoir les locaux 9, 28, 36, 37, 39, 40, 48, 56, 61 et 63 du plan annexé) ; que la société acquéreur devait faire exécuter les travaux de construction pour le compte du vendeur par des entrepreneurs de son choix et faire son affaire personnelle " à l'entière décharge du vendeur " du règlement des travaux ; qu'il était indiqué expressément " en conséquence et par le seul fait des présentes, le vendeur se trouve propriétaire des parties d'immeubles ci-dessus désignées ".

Attendu certes que l'acte du 31 octobre 1962 n'a pu rendre NIGGIO propriétaire des locaux qui n'existaient pas encore, mais que celui-ci, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, est devenu propriétaire desdits locaux au fur et à mesure de leur construction édifiée en vertu d'un contrat de louage d'ouvrage conclu par la S.C.I. LE SOLEIL, laquelle réglait les mémoires aux entrepreneurs ; que, par conséquent, il n'y a pas eu transfert du patrimoine de la S.C.I. LE SOLEIL à celui de NIGGIO, la première n'ayant jamais été propriétaire des locaux litigieux entrés ab initio dans le patrimoine de NIGGIO.

Attendu qu'il résulte des documents produits qu'à l'achèvement de l'immeuble, NIGGIO a bien pris possession des locaux litigieux, ainsi que le prouvent les nombreux baux par lui produits lesquels font partir les locations consenties des 1er mars 1966, 1er septembre 1965, 1er juin 1965, 1er septembre 1965, 1er juillet 1965, 5 février 1967; que par ailleurs, il ne peut être contesté, et que l'additif à l'état descriptif de division du 15 février 1965 établi le 30 avril 1970 par M de CARTON, notaire à Nice, et publié à la Conservation des Hypothèques le 11 mars 1971 le démontre au besoin, que les lots 19, 62, 87, 88, 100, 120 et 123 sur lesquels a été prise l'inscription d'hypothèque de la Société BOUDON, correspondent respectivement aux lots 9, 28 et 36 réunis (pour le 62), 39, 40, 48, 61 et 63 de l'acte de vente du 31 octobre 1962 et à ceux qui ont été livrés à NIGGIO.

Attendu que, bien que NIGGIO n'ait pas fait publier antérieurement à cette prise d'inscription hypothécaire ses droits de propriété sur les lots litigieux, par référence à l'état descriptif de division prescrit par l'article 7 du décret du 4 janvier 1955, la Société BOUDON ne saurait se prévaloir de ce défaut de publication pour prétendre à la validité de son inscription ; qu'en effet, contrairement à l'hypothèse visée par l'article 30 du décret précité, NIGGIO et la Société BOUDON ne sont pas des tiers ayant acquis sur le même immeuble et du même auteur des droits concurrents en vertu d'actes ou de décision soumis à la même obligation de publicité et publiés ; que NIGGIO est devenu propriétaire des locaux de son propre chef sans transfert préalable opéré par la S.C.I. LE SOLEIL qui n'en a jamais été propriétaire et n'a pu transmettre des droits qu'elle n'a jamais possédés sur eux ; que la Société BOUDON a donc pris inscription d'hypothèque sur les immeubles d'une personne qui n'était pas son débiteur à l'encontre d'une Société qui n'a jamais été propriétaire des locaux grevés.

Attendu que vainement, pour tenter de faire valider une inscription prise ainsi non domino, la Société BOUDON prétend que, de toute façon, elle aurait à la suite d'une erreur invincible cru la S.C.I. LE SOLEIL propriétaire des locaux ; qu'en effet, la Société LE SOLEIL n'a aucun titre d'acquisition ou de propriété sur ces locaux, que ceux-ci étaient au contraire en possession de NIGGIO et loués par lui depuis plusieurs années; que la Société BOUDON pouvait facilement se renseigner auprès du syndic de la copropriété par exemple pour connaître le véritable propriétaire et que son erreur ne peut donc être considérée comme invincible ou même légitime.

Attendu, dans ces conditions, qu'il échet de faire droit à la demande de NIGGIO et d'ordonner la radiation de l'inscription prise par la Société BOUDON sur les lots 19, 62, 87, 88, 100, 120 et 123 appartenant à NIGGIO, en déboutant la Société intimée de sa demande de dommages-intérêts.

Observations. - Lorsque, dans l'acte constatant la vente dune fraction indivise d'un terrain à bâtir, il est stipulé qu'en contrepartie l'acquéreur s'engage à édifier à ses frais sur le terrain une construction dont certaines fractions divises déterminées seront la propriété du vendeur, les autres devant appartenir à l'acquéreur, on se trouve en présence de deux dispositions distinctes : d'une part, la vente d'une fraction indivise du terrain, d'autre part, le partage des constructions futures (Bull. A.M.C., art. 542 et 924).

Cette analyse de la convention, en ce qui concerne la stipulation relative à la construction, a été parfois, critiquée. Nous persistons cependant à la considérer comme exacte.

Edifiée sur un terrain indivis entre le vendeur et l'acquéreur, la construction serait devenue, par voie d'accession, indivise entre les copropriétaires si une clause de l'acte n'en avait disposé autrement. C'est par l'effet de cette clause que chacun d'eux acquiert, non pas des droits indivis sur l'ensemble de la construction, mais des droits divis sur des fractions déterminées de cette construction. Cette substitution de droits divis sur un immeuble à des droits indivis sur le même immeuble n'est autre chose, en droit, qu'un partage. Comme par ailleurs ce partage intervient avant l'édification de la construction, le vendeur et l'acquéreur se trouvent investis de leurs droits divis sur des fractions déterminées de cette construction dès l'origine, au fur et à mesure de l'édification de ladite construction.

Il en résulte, en particulier, qu'une inscription hypothécaire prise contre l'acquéreur sur les fractions de l'immeuble construites pour le compte du vendeur grève des immeubles qui n'appartiennent pas et n'ont jamais appartenu au débiteur et n'est pas, par conséquent, valablement requise.

C'est ce qu'a décidé l'arrêt rapporté ci-dessus. La Cours d'Appel, sans qualifier explicitement la convention relative à la construction, constate implicitement que cette convention produit les mêmes effets qu'un partage puisqu'elle énonce clairement que l'acquéreur n'a jamais eu aucun droit sur les fractions divises attribuées au vendeur, lesquelles sont entrées ab initio dans le patrimoine de ce dernier.

La circonstance que l'acquéreur n'a aucun droit sur les fractions de l'immeuble construites pour le compte du vendeur a une autre conséquence qui intéresse plus directement le Service de la Publicité Foncière : c'est qu'en raison du principe de l'effet relatif des formalités, toute formalité de publicité foncière concernant ces fractions où l'acquéreur du terrain est présenté comme le disposant ou le dernier titulaire du droit doit être rejetée.

Des énonciations de l'arrêt, il paraît par ailleurs ressortir que l'état descriptif de division n'avait pas encore été publié lors de la publication de l'acte de vente par l'effet duquel le vendeur était devenu propriétaire des fractions de l'immeuble construites pour son compte. Or, par application de l'art. 7 du décret du 4 janvier 1955 complété, ces fractions auraient dû être désignées par le numéro de lot que leur attribue l'état descriptif de division et, aux termes de l'art. 34, § 2, du même décret et des art. 71 § E - 1b et 76, § 2, du décret du 14 octobre 1955, modifié, l'absence de cette référence à l'état descriptif était une cause de refus du dépôt.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 490 A h II c (feuilles vertes) et 490 A k II (feuilles vertes).