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ARTICLE 1023

PUBLICATION D'ACTES.

Opposabilité aux tiers.
Acquisition d'un immeuble déjà vendu à un précédent acquéreur.
Connaissance par le second acquéreur de la première vente.
Faute susceptible de rendre la seconde vente inopposable aux tiers.
ARRETS DE LA COUR DE CASSATION (3° Chambre Civile)
DES 30 JANVIER 1974 ET 3 OCTOBRE 1974

(J.C.P. 1975 - II - 18001).

1er espèce : Cass,. civ. 3°, 30 janvier 1974

LA COUR,

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1382 du Code Civil ;

Attendu que l'acquisition d'un immeuble en connaissance de sa précédente cession à un tiers est constitutive d'une faute qui ne permet pas au second acquéreur d'invoquer à son profit les règles de la publicité foncière ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, par acte reçu par X..., Notaire, Vuillaume a vendu à Vial un immeuble d'habitation ; que la vente a été régulièrement transcrite ; que Himatte, locataire dudit immeuble, prétendant être bénéficiaire d'une promesse de vente, que Vuillaume lui aurait antérieurement consentie, a assigné Vial et Raymond Vuillaume, en qualité d'héritier de son père décédé, et a demandé au Tribunal de déclarer nulle la vente intervenue en fraude de ses droits, d'ordonner à son profit la réalisation de la promesse, de condamner Vial et Vuillaume au paiement de dommages et intérêts ; que le tribunal, après, avoir décidé que la promesse invoquée était valable, a prescrit une enquête, puis une comparution personnelle, et a fait droit aux demandes d'Himatte ;

Attendu que pour infirmer ledit jugement, la Cour d'Appel a notamment déclaré qu'il n'y avait pas lieu, en l'absence de manoeuvres dolosives, de s'arrêter à une simple question de bonne ou de mauvaise foi, et que Vial, pour sa part, malgré la connaissance qu'il aurait eue de la promesse, n'avait commis aucune faute en faisant transcrire son titre le premier et en profitant d'un avantage offert par la loi elle-même à l'acquéreur le plus diligent ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que Vial connaissait l'existence d'une vente liant Vuillaume à Himatte, la Cour d'Appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

Casse et annule l'arrêt rendu le 12 juillet 1972 entre les parties, par la Cour d'Appel de Nancy, et renvoie devant la Cour d'Appel de Reims.

2° espèce : Cass. civ. 3°, 3 octobre 1974

LA COUR,

Sur le moyen unique :

Attendu que des énonciations de l'arrêt attaqué il résulte que, par acte sous seings privés, non enregistré ni publié, du 20 novembre 1968, Maillols a acheté à la Société civile immobilière Les Hauts Cantons à Font-Romeu un terrain à bâtir portant le numéro 2 du lotissement " La Sucarrade ", d'une contenance d'environ 644 mètres carrés, moyennant le prix de 50 francs le mètre carré sur lequel Maillols a versé un acompte de 2.000 francs, ; que, sommé par la société venderesse de réitérer la vente par acte authentique, Maillols s'y est refusé et le notaire a dressé le 8 décembre 1969 un procès-verbal de difficultés ; que Maillols invoquait l'absence, dans le projet d'acte notarié, du mot lotissement, de l'indication d'un cahier des charges et de l'arrêté préfectoral d'autorisation ; que la société venderesse a répondu qu'il n'y avait jamais eu de lotissement, ce que l'acquéreur n'ignorait pas, et que toutes les garanties lui étaient offertes quant à l'existence et à l'utilisation des voies d'accès et des réseaux d'eau, d'électricité et d'égouts de l'ensemble de La Soucarrade ; que, par acte notarié du 17 février 1970, publié le 4 mars 1970, la parcelle, objet de l'acte sous seings privés du 20 novembre 1968, a été vendue à Simon ; que Maillols a assigné la Société civile immobilière Les Hauts Cantons et Simon en nullité de la seconde vente, la société venderesse, par demande reconventionnelle, réclamant la résolution, aux torts de l'acquéreur, de la convention sous seings privés du 20 novembre 1968 ;

Attendu qu'il est fait grief audit arrêt, qui a ordonné une mesure d'instruction pour établir si le second acquéreur avait pu avoir connaissance de la précédente aliénation non publiée, d'avoir décidé que si le second acquéreur avait connaissance de la première vente, la sanction n'en pouvait être que l'inopposabilité de la seconde vente au premier acquéreur, alors, selon le moyen, qu'en cas de conflit entre deux acquéreurs d'un bien du même auteur, la préférence se règle uniquement par la priorité de la publication ; que cette règle ne trouve une exception qu'en cas de faute ou de fraude du second acquéreur ; d'où il suit que la simple connaissance par ce dernier de la première aliénation ne saurait à elle seule entraîner l'inopposabilité de la seconde aliénation à l'acquéreur initial ; que la Cour d'Appel ne pouvait, en conséquence, admettre que l'inopposabilité était la sanction de la seule connaissance, par le second acquéreur, de la première vente ;

Mais attendu que l'acquisition d'un immeuble en connaissance de sa précédente cession à un tiers peut être constitutive d'une faute qui ne permettra pas au second acquéreur d'invoquer à son profit les règles de la publicité foncière ;

Attendu que les juges du second degré pouvaient donc admettre que la connaissance de la première vente par le second acquéreur pouvait entraîner l'inopposabilité, au premier acquéreur, de la seconde vente ;

Attendu qu'il s'ensuit que, loin de violer les principes applicables en la matière, la Cour d'Appel en a, au contraire, fait une exacte application ;

Que le moyen ne peut donc qu'être écarté;

Par ces motifs :

Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 6 décembre 1972 par la Cour d'Appel de Montpellier.

Observations. - Par application de l'art. 30- 1 du décret du 4 janvier 1955, lorsque le propriétaire d'un immeuble consent deux ventes successives de cet immeuble, celle des deux ventes qui est opposable aux tiers et qui, par suite, rend l'acquéreur propriétaire erga omnes est celle, qui est publiée la première au Bureau des Hypothèques,.

Cependant, déjà sous l'empire de l'art. 3 de la loi du 23 mars 1855 qui édictait une règle identique, la jurisprudence décidait que cette règle n'était pas applicable lorsque la seconde vente est le résultat d'une collusion frauduleuse entre le vendeur et le second acquéreur en vue d'évincer le premier. Dans ce cas lorsque la seconde vente est publiée la première, sa publication est inopérante et c'est la première vente qui, bien que publiée la seconde, est opposable aux tiers (Cass. req. 8 décembre 1858, D.P. 59-1-184, S. 60-1-991 ; - 14 mars 1859, D.P. 59 - 1 - 500, S. 59 - 1 - 833 ; - 27 novembre 1893, D.P. 94 - 1 - 342, S. 94 - 1 - 385, Journ. Cons. 4468 ; - 20 février 1904, D.P. 1905 - 1 - 7, S 1904 - 1 - 216 ; - Civ. 7 décembre 1925, D.P. 26 - 1185, S. 25 - 1 - 340, Journ. Conc. 9995 ; - Req. 13 décembre 1937, S. 38 - 1103 ; Civ. 10 mai 1949, D. 1949 - 213, J.C.P. 1949 - III - 4972 ; - Précis Masounabe-Puyanne, 2° éd., n° 685).

Par les deux arrêts rapportés, la Cour de Cassation étend le champ d'application de la dérogation. Aux termes de ces deux décisions, l'acquisition d'un immeuble en connaissance de sa précédente cession à un tiers est constitutive d'une faute (arrêt du 30 janvier 1974) ou peut être constitutive d'une faute (arrêt du 3 octobre 1974) qui ne permet pas au second acquéreur d'invoquer à son profit les règles de la publicité foncière.

Les deux arrêts diffèrent dans leur portée en ce que, selon le premier, la connaissance par le second acquéreur de la première vente rendrait ipso facto la publication de la seconde vente inopposable au premier acquéreur, alors que, d'après le second arrêt, l'inopposabilité de la publication de la seconde vente serait seulement une possibilité laissée à l'appréciation des tribunaux. Mais, dans un cas comme dans l'autre, il n'est plus nécessaire, pour que la publication de la seconde vente soit déclarée inopérante, que soit établie une collusion frauduleuse entre le vendeur et le second acquéreur.

Les deux décisions rapportées sont à rapprocher d'un précédent arrêt de la 3° Chambre Civile de la Cour de Cassation du 4 mars 1971 (Bull. A.M.C., art. 883) qui a reconnu qu'une vente consentie au mépris d'un pacte de préférence porté à la connaissance des tiers au moyen de sa publication n'était pas opposable au bénéficiaire du pacte de préférence.

Le changement de jurisprudence résultant des arrêts des 30 janvier et 3 octobre 1974 n'a pas un intérêt direct pour les Conservateurs des Hypothèques qui n'ont pas à se faire juges des effets des publications effectuées à leur bureau et qui, au cas où ont été publiées deux ventes successives d'un même immeuble doivent, contrairement à une pratique maintenant abandonnée (Bull. A.M.C., art. 384), faire figurer dans les états les deux publications sans rechercher si elles sont ou non efficaces.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 685 et 1756.