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ARTICLE 1514

RADIATIONS.

Mainlevée notariée.
Liquidation de biens d'un groupe de sociétés.
Inscription prise pour garantir le paiement du prix de la cession à forfait des actifs immobiliers.
Jugement du tribunal de commerce autorisant les syndics du groupe en liquidation à accepter un plan d'apurement prévoyant de substituer aux sûretés réelles existantes la caution solidaire d'un établissement de crédit.
Absence de justification du caractère définitif du jugement.
Régularité du refus de radier.

Question : Dans un acte notarié de mainlevée, le titulaire de l'inscription de privilège de vendeur à laquelle il est renoncé est un groupe de sociétés qui, se trouvant dans la situation de liquidation des biens régis par la loi 67-563 du 13 juillet 1967, est représenté par deux administrateurs judiciaires, MM. P... et P..., agissant en qualité de co-syndics de ladite liquidation. Ces deux comparants, qui ont donné " mainlevée entière, définitive et sans réserve ", se sont prévalus d'un jugement du tribunal de commerce les ayant autorisés à accepter les propositions du propriétaire grevé, lequel est l'acquéreur à forfait de la totalité des actifs. Ces propositions prévoient notamment la fourniture " d'une caution solidaire du Crédit Lyonnais qui se substituerait aux sûretés existantes (hypothèques et nantissements sur titres)". Une copie de l'acte s.s.p. de caution a été annexée à la minute de l'acte de mainlevée et donc à l'expédition remise au bureau des hypothèques et il y est stipulé que l'engagement qu'il contient " n'aura d'effet qu'à compter de la date des actes de mainlevée d'hypothèque et de nantissement qui seront signés par les syndics ". Or, dans l'exercice de la vérification qui lui incombe, le conservateur requis de radier a demandé et obtenu l'envoi d'une copie du jugement déjà cité et comme il n'était pas justifié du caractère définitif de cette décision de justice, il a invité le notaire requérant à produire un certificat de non-appel. Au lieu de fournir la pièce qui lui était demandée, cet officier ministériel a transmis la copie d'une lettre de l'avocat du débiteur dans laquelle sont développés les arguments rapportés ci-après : d'une part, le jugement dont s'agit est assorti de l'exécution provisoire de sorte qu'il est exécutoire de plein droit ; au demeurant, il est insusceptible d'appel et seul, le Parquet pouvait, ce qu'il n'a pas fait, former appel dans un délai de 15 jours ; d'autre part, la production d'un certificat de non-appel ne serait utile que si c'était le tribunal qui avait ordonné la radiation ; enfin, d'après l'article 2180-2° C. Civ., la renonciation des créanciers à l'hypothèque entraîne l'extinction de celle-ci de sorte qu'il suffit de constater que " les créanciers, en l'espèce MM. P... et P..., renoncent à l'hypothèque pour que la mainlevée soit immédiatement effectuée sans autre formalité " ; au surplus, pour le cas " où les difficultés seraient maintenues par MM. les Conservateurs", il est fait état d'instructions formelles du débiteur enjoignant de les assigner en référé " pour les contraindre à effectuer les formalités de mainlevée sous peine d'astreinte comminatoire quotidienne ". Compte tenu de cette argumentation et eu égard à la menace dont elle est assortie, l'exigence d'un certificat de non-appel doit-elle être maintenue ?

Réponse : Réponse affirmative. Tout d'abord, en effet, pour répliquer à la soi-disant impossibilité d'obtenir un certificat de non-appel, il convient de se fonder sur les énonciations mêmes de la décision rendue par le tribunal de commerce qui, selon les termes employés pour introduire le dispositif, a statué " en premier ressort par un jugement réputé contradictoire " ; cette indication ne peut qu'être réputée exacte et tant qu'elle n'aura pas été rapportée, il doit être considéré que l'appel est ouvert. A titre complémentaire mais surabondant, il pourrait être observé que l'autorisation délivrée à un syndic de consentir une mainlevée sans constatation de paiement ne figure pas dans la liste - donnée à l'article 103 de la loi 67-563 du 13 juillet 1967 - des jugements " susceptibles ni d'opposition, ni d'appel, ni de recours en cassation " ; elle ne saurait non plus être considérée comme y étant implicitement contenue, faute, en particulier, d'être la conséquence nécessaire des jugements visés au 5° dudit article 103 et autorisant le syndic, ainsi qu'il est prévu à l'article 88 " à traiter à forfait de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier et à l'aliéner".

Ensuite, c'est-à-dire une fois démontré que le jugement ne peut être considéré comme rendu en dernier ressort, il ne saurait être sérieusement contesté qu'un conservateur des hypothèques a un intérêt légitime à s'assurer que l'habilitation conférée en première instance aux parties à un acte de mainlevée ne risque pas d'être anéantie par la cour d'appel. C'est que par une dérogation à un principe essentiel du droit de la fonction publique, ce mandataire légal chargé de l'exécution de formalités civiles prescrites est responsable sur ses propres deniers toutes les fois que par une faute ou une négligence commise dans l'exercice de son activité professionnelle, il fait éprouver une perte à un créancier ou à un tiers (Cass. Civ. 2 janvier 1924 D.P. 1924 1. 14). Or, pour les radiations, les probabilités de se placer dans une telle situation sont accrues par les effets conjugués d'une part, du caractère largement irréversible de la suppression du signe matériel de la sûreté, lequel, en tout état de cause, ne pourra jamais être rétabli à l'encontre de ceux qui auront fait publier entre cette suppression et le rétablissement, et d'autre part, du rôle actif dévolu au conservateur dont le contrôle, en la matière, ne se limite pas à la régularité formelle mais s'étend à la validité au fond (Cass. Civ. 16 juillet 1975 D. 1975 593). Or, les syndics d'une liquidation des biens ne tiennent de leurs fonctions que des pouvoirs d'administration si bien qu'en l'espèce, la validité de la mainlevée repose exclusivement sur la solidité du jugement d'autorisation ; c'est lui, en réalité, qui est la source de cet acte de disposition de droits immobiliers et il doit, par suite, tout comme s'il ordonnait lui-même la radiation, être passé en force de chose jugée, sans que le fait qu'il ait été assorti de l'exécution provisoire soit de nature à dispenser d'en justifier (Cass. Civ. 19 octobre 1988, bull. A.M.C., art. 1416).

Nota : Dans les circonstances où le jugement du tribunal de commerce avait été rendu et qui étaient largement consensuelles, il était bien peu plausible que cette décision de justice, rendue en premier ressort, soit frappée d'appel ; en outre, même si un appel était formé et s'il aboutissait à l'infirmation de l'habilitation délivrée aux comparants à l'acte notarié de mainlevée, la caution, d'ores et déjà souscrite par un signataire de tout premier ordre, paraissait de nature à empêcher la survenance d'un préjudice indemnisable et par suite, l'imputabilité d'un dommage à quelque événement que ce soit et, notamment, à la radiation se révélant avoir été opérée à tort. Mais, malgré ce contexte, il a paru nécessaire de s'en tenir strictement au rôle traditionnel du conservateur. Celui-ci n'a pas à supputer des risques ; simplement, ainsi qu'il est rappelé sous l'article 1469 du présent bulletin, " il doit se borner à examiner l'acte produit en lui-même, d'abord en sa forme extérieure, et ensuite au point de vue de sa validité juridique, du chef de la qualité de la partie intéressée et de sa capacité à consentir mainlevée ". En l'espèce, d'ailleurs, un certificat de non-appel a, en définitive, été remis à notre collègue.