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Art. 1791

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif
Inscriptions
Immeuble grevé sorti, en vertu d’un acte publié, du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau mais susceptible d’y faire retour par suite de l’engagement de l’action paulienne
Rejet obligatoire de l’inscription tant que n’a pas été publié le jugement rendant l’aliénation de l’immeuble inopposable à l’inscrivant

Ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grasse du 18 février 1998

Ordonnance du président du tribunal de grande instance de Tarbes du 24 mars 1998

Faits : Les affaires jugées à Grasse le 18 février 1998 et à Tarbes le 24 mars sont semblables.

A Grasse, l’inscrivant était la banque M... qui avait requis une inscription d’hypothèque judiciaire sur un immeuble qu’elle savait ne plus appartenir à son débiteur.

Mais, estimant que la cession de ce bien avait été faite en fraude de ses droits, ce créancier avait exercé l’action paulienne.

A Tarbes, la situation était la même sinon que l’inscrivant était le trésorier de V... et donc un comptable du Trésor et que la sûreté était l’hypothèque légale instituée à l’article 1929 ter du code général des impôts.

Les bordereaux ont été établis en faisant abstraction de la vente ou de la donation attaquée si bien que le débiteur y apparaissait comme étant " le disposant ou dernier titulaire " au sens du second alinéa du paragraphe 1 de l’article 32 du décret du 14 octobre 1955.

Or, nos collègues ont estimé que cette qualité appartenait au propriétaire actuel de l’immeuble grevé.

C’est effectivement ce que la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt du 12 juin 1996 reproduit et commenté à l’article 1764 du Bulletin.

Aussi, dans les deux bureaux, cette discordance fut-elle relevée et notifiée, avec pour conséquence, d’abord le rejet de la formalité requise, puis l’assignation du conservateur devant le président du tribunal de grande instance de la situation de l’immeuble, pris en sa qualité de juge de la validité des rejets.

A Grasse comme à Tarbes, le demandeur s’est prévalu de la seconde phrase du paragraphe 2 de l’article 34 du décret déjà cité selon laquelle " il n’y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens du 1 de l’article 32, a cessé, postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publié ".

En outre, devant le président du T.G.I. de Grasse, l’accent a été mis sur le fait que dans la cause ayant donné lieu à l’arrêt de cassation invoqué par le défendeur, le transfert de la propriété de l’immeuble n’était pas contesté alors qu’en l’espèce, l’action paulienne a été engagée et que cette demande en justice a été publiée à la conservation.

Ces prétentions ont été rejetées dans l’une et l’autre des deux ordonnance par les motifs et dans les dispositifs reproduits ci-après.

I - Ordonnances du 18 février 1998

" MOTIFS DE L’ORDONNANCE

" Il convient de rappeler que la société anonyme M... est créancière de P... B... aux termes de divers actes notariés.

" P... B... n’ayant pas respecté ses engagements, la société anonyme M... a voulu se prémunir contre l’insolvabilité de son débiteur.

" Elle a découvert que ce dernier avait par acte notarié en date du 30 août 1996 vendu un bien immobilier à son frère et à sa belle-soeur, cette vente ayant été publiée le 26 septembre 1996.

" La société anonyme M... a engagé une action paulienne à l’encontre de P... B..., de R... B... et d’E... G..., son épouse, aux termes d’une assignation en date du 27 mars 1997 publiée le 30 avril 1997.

" La société anonyme M... ayant voulu simultanément inscrire une hypothèque provisoire puis définitive sur le bien immobilier ayant précédemment appartenu à P... B... s’est vu rejeter ses bordereaux d’inscription d’hypothèque aux motifs que P... B... n’était plus propriétaire du bien immobilier concerné.

" Aux termes des dispositions du deuxième paragraphe de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955, il n’y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens de l’article 32, a cessé, postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publié.

" Saisie de l’interprétation de cette disposition, la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 juin 1996, a estimé que le conservateur des hypothèques devait s’assurer de la concordance du document déposé et des documents déposés antérieurement et qu’il lui appartenait de rejeter la formalité de l’inscription si le lot visé n’appartenait plus aux débiteurs.

" Telle est précisément l’hypothèse présente.

" Si la société anonyme M... estime qu’en l’espèce, les éléments de la causes sont différents puisque c’est dans le cadre d’une action paulienne qu’elle souhaite procéder à l’inscription d’une hypothèque, il convient d’estimer qu’en faisant droit à sa demande, le juge conférerait au conservateur du bureau des hypothèques le pouvoir d’apprécier le fondement de l’action judiciaire engagée pour voir annuler la vente faite par P... B... à son frère et à sa belle soeur.

" Un tel pouvoir n’est pas conféré au conservateur du bureau des hypothèques.

" Il convient, dans ces conditions, d’estimer que ce conservateur est fondé à rejeter les bordereaux d’inscription hypothécaires présentés par la société anonyme M...

" Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande de cet organisme bancaire.

" L’équité ne commande pas en l’espèce de faire application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile au profit du conservateur du ...

" PAR CES MOTIFS

" Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort,

" Vu les dispositions de l’article 26 du décret du 4 janvier 1955,

" Déclarons la société anonyme M... mal fondée en sa demande et l’en déboutons;

" Disons qu’il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile;

" Rappelons que la présente ordonnance n’est pas susceptible d’exécution provisoire;

" Laissons les dépens à la charge de la société anonyme M...."

II - Ordonnance du 24 mars 1998

" DECISION :

" Attendu que le conservateur des hypothèques doit s’assurer de la concordance du document déposé et des pièces publiées antérieurement;

" Qu’en l’espèce, il est constant que l’inscription sollicitée concernait une personne qui n’était plus propriétaire de l’immeuble;

" Attendu qu’à peine d’engager sa responsabilité professionnelle, le conservateur des hypothèques ne pouvait que rejeter la formalité de l’inscription;

" Attendu que les réclamations du Trésorier de V... ne sauraient prospérer;

" Attendu qu’il paraît équitable que chaque partie supporte ses frais irrépétibles;

" PAR CES MOTIFS :

" Statuant en référé,

" Rejetons la demande du Trésorier de V... ;

" Disons n’y avoir lieu à application de l’article 700 NCPC ;

" Laissons les dépens à la charge du Trésorier de V...."

Observations. 1) Les créanciers sont parfois victimes de débiteurs qui organisent leur insolvabilité en cédant leurs biens à des compères.

Pour déjouer cette manoeuvre, ils disposent de la très antique et vénérable action paulienne dont le principe est énoncé à l’article 1167 du code civil.

Lorsqu’il s’agit d’immeubles et comme il est prescrit au c du 4° de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955 et au 5 de l’article 30 du même décret, l’assignation introductive de cette action est publiée au bureau des hypothèques.

Cette publicité, toutefois, n’a pas pour résultat d’interdire à un créancier du tiers acquéreur de prendre utilement une inscription d’hypothèque judiciaire sur l’immeuble que ledit acquéreur a mis à l’abri des poursuites engagées contre son cocontractant.

C’est ce que la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 25 janvier 1983: civ. 3°, Bull. civ. III n° 25.

Aussi, habituellement, l’engagement de l’action paulienne par le créancier s’accompagne-t-il de la réquisition d’une inscription légale ou judiciaire sur le bien dont, si cette action prospère, la mutation sera déclarée inopposable.

Cette précaution a été prise dans l’une et l’autre des deux espèces susrelatées.

Une telle inscription ne pouvait qu’être acceptée lorsqu’il était considéré par la doctrine de l’Administration, celle de notre association et également par la jurisprudence ( Bull. A.M.C., art.1452 ) que ne constituait pas une cause légale de rejet le fait d’attribuer la qualité de " disposant ou dernier titulaire " à un ancien propriétaire de l’immeuble qui allait être grevé.

Il fallait que le débiteur ait un titre de propriété dont une copie ait été intégrée au registre public; cela suffisait, même s’il avait perdu son droit dans un document publié depuis.

C’est d’ailleurs ce qui continue de résulter expressément de la dernière phrase du paragraphe 2 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1 955 qui dispose qu’" il n’y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens du 1 de l’article 32, a cessé, postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou parti de ses effets en raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publiée ".

Ces dispositions, issues de l’article 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967, ont été épargnées par la réforme des textes ayant pris effet le 1er juillet 1998.

Et pourtant, elle ne sont plus susceptibles de recevoir application.

En effet, elles se réfèrent au paragraphe 1 de l’article 32 du décret du 14 octobre 1955.

Or, il ressort de l’arrêt de cassation du 16 juin 1996 que le second alinéa de ce paragraphe doit être entendu comme s’il y était écrit que le disposant ou dernier titulaire, au sens de l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 et de la présente section, s’entend de la personne qui, d’après les documents déjà publiés, est le bénéficiaire actuel du droit qui se trouve transféré, modifié, etc...

Et, par définition, la personne apparaissant au fichier immobilier comme étant le propriétaire actuel de l’immeuble qui va être chargé d’une sûreté réelle n’est pas susceptible d’avoir, au moment de l’inscription de l’hypothèque, un titre ayant cessé de produire ses effets postérieurement à sa publication audit fichier.

Il s’ensuit que l’adjonction faite en 1967 au 2 de l’article 34 se trouve frappée de caducité car elle implique une conception du " disposant ou dernier titulaire " qui n’est plus celle que s’en fait le troisième pouvoir.

C’est pourquoi les demandes d’annulation des rejets litigieux, présentées aux présidents des tribunaux de grande instance de Grasse et de Tarbes, ne pouvaient qu’être rejetées.

En effet, alors que cette adjonction doit être regardée comme non avenue, c’est sa violation que les auteurs de ces demandes ont invoquée comme unique moyen de légalité.

Ce moyen, par suite, ne pourrait être accueilli que si les juges du fond se dressaient contre l’interprétation donnée par la Cour suprême au 1 du 3 de l’article 32 déjà cité.

Au premier degré, ils ont acquiescé à cette interprétation et, très probablement, il sera fait de même par les cours d’Aix et de Pau auxquelles, respectivement, les ordonnances des 18 février et 24 mars 1998 ont été déférées.

2) Certes, comme elle l’avait fait vainement devant le président du tribunal de grande instance de Grasse, la banque M... s’emploie en appel à tirer argument de ce que dans la cause ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 1996, le transfert de la propriété de l’immeuble grevé n’était pas contesté et qu’au contraire, en l’espèce, l’action paulienne a été exercée.

De cette particularité, l’appelante déduit les conséquences suivantes:

" Si Monsieur le Conservateur des hypothèques n’a pas le pouvoir d’apprécier le bien ou le mal fondé des actions judiciaires révélées à sa conservation, il n’a pas non plus le pouvoir de préjuger d’un rejet de cette action judiciaire.

 Il doit donc avoir une attitude tout à fait neutre et accepter au dépôt les publications qui sont faites, et notamment les inscriptions d’hypothèques du chef de l’ancien propriétaire.

 Si l’action paulienne échoue, l’inscription d’hypothèque sur l’ancien propriétaire deviendra caduque d’elle même.

 Si elle réussit, elle trouvera son plein effet. "

Cette objection est sans valeur car elle a sa source dans un fait matériellement inexact.

Notre collègue, en réalité, n’a pas pris parti sur la suite qui sera donnée à l’assignation qui, délivrée le 27 mars 1997 par la banque M... à son débiteur et à ses prétendues complices, a été publiée le 30 avril suivant.

Il n’a préjugé ni du succès, ni de l’échec de l’action paulienne.

Simplement, lorsque le 3 novembre 1997, il a prononcé le deux rejet contesté, d’une part, il ressortait des documents déjà publiés que le débiteur dont l’identité était déclinée dans les bordereaux d’inscription n’était pas le propriétaire actuel de l’immeuble et d’autre part, il apparaissait que cette discordance, quoiqu’ayant été notifiée au signataire du certificat d’identité, n’avait été ni déniée, ni supprimée.

Le conservateur, dès lors, était privé du pouvoir d’achever l’exécution des inscriptions provisoire et définitive qui avaient été requises.

Annoter: Bull. AMC, art. 1415.