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Art. 1874

PROCEDURE
TAXE DE PUBLICITE FONCIERE
SALAIRE

 

Contrôle juridictionnel de la validité des refus
Refus d'une inscription motivé par le défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière réclamée par le conservateur
Annulation du refus en première instance et en appel pour défaut de base légale de ladite taxe
Cassation de l'arrêt de la cour d'appel jugée non compétente pour se prononcer sur le bien fondé des droits réclamés par le conservateur
préalablement à l'exécution de la formalité
Arrêt de la Cour de cassation (Chambre commerciale financière et économique)
du 12 mai 2004

Les faits : Les circonstances détaillées de l'affaire ont été relatées dans le Bulletin sous les articles 1812 et 1826 auxquels le lecteur pourra utilement se reporter. Le refus de dépôt à l'origine de ce contentieux est celui d'une inscription provisoire d'inscription judiciaire. Le conservateur l'avait motivé par le défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière liquidée par ses soins mais contestée par le déposant. En première instance, il avait été jugé par le président du tribunal de grande instance de Créteil statuant comme en matière de référé que la taxe de publicité foncière dont le versement avait été demandé par le conservateur "n'avait manifestement pas à être perçue", ce qui avait justifié l'annulation du refus opposé par le conservateur. La cour d'appel de Paris, méconnaissant totalement et ne discutant même pas l'argumentation du conservateur selon laquelle, notamment, le premier juge avait méconnu les dispositions des articles 1701 du code général des impôts, L 199 du Livre des procédures fiscales et 26 du décret du 4 janvier 1955, a confirmé l'ordonnance rendue en première instance par le Président du tribunal de grande instance de Créteil. Le conservateur s'étant pourvu en cassation, la Haute Juridiction, dans un arrêt du 12 mai 2004, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel, pour les motifs reproduits ci-après: "

Sur le premier moyen: Vu les articles 1701 du Code général des impôts, L 190 du Livre des procédures fiscales et les articles 26 et 34-2 et 3 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 dans leur rédaction issue de la loi n° 98-261 du 6 avril 1998; Attendu, selon le premier de ces textes, que les droits des actes sont payés avant l'exécution de l'enregistrement, de la publicité foncière ou de la formalité fusionnée, que nul ne peut en atténuer ni différer le paiement sous prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s'il y a lieu, le dépôt étant refusé à défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1992 le CEPME a consenti un prêt à la SCI Marine, pour la garantie duquel il a inscrit une hypothèque conventionnelle sur les droits immobiliers appartenant à celle-ci; que la SCI ayant été déclarée en liquidation judiciaire en 1999, le CEPME, qui en était toujours créancier au titre de ce prêt, s'est prévalu des dispositions de l'article 1857 du Code civil pour obtenir du juge de l'exécution l'autorisation d'inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur les biens appartenant aux époux Lefaix, seuls associés de la SCI, que cette autorisation lui ayant été accordée, le CEPME a sollicité cette inscription en demandant à être dispensé du paiement de la taxe de publicité foncière sur le fondement de l'article 1702bis du CGI, s'agissant selon lui de garantir la même créance qu'en 1992; que le conservateur estimant que le paiement de la taxe était dû a, en l'absence de paiement de celle-ci, refusé le dépôt de l'inscription; qu'en application de l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 dans sa rédaction issue de la loi n° 98-261 du 6 avril 1998, le CEPME a assigné le conservateur devant le président du tribunal de grande instance pour obtenir l'annulation du refus de dépôt de l'inscription; que par ordonnance du 28 octobre 1999, dont le conservateur a fait appel, cette demande a été accueillie au motif que s'agissant d'une créance unique la taxe de publicité foncière n'avait manifestement pas à être perçue; Attendu que pour confirmer cette décision, l'arrêt retient qu'il résulte des dispositions combinées des articles 844 alinéa 2, et 1702 bis du code général des impôts que c'est à juste titre, et sans excéder ses pouvoirs que le président du tribunal de grande instance a déclaré le refus de dépôt de l'inscription non fondé, dès lors que la créance pour laquelle l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire était requise était bien la même que celle garantie par l'inscription de l'hypothèque conventionnelle en 1992; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que saisie sur le fondement de l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 dans sa rédaction issue de la loi n° 98-261 du 6 avril 1998, elle n'avait pas compétence pour se prononcer sur le bien-fondé des droits réclamés par le conservateur, la cour d'appel a violé les textes susvisés;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen; CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 mars 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris; remet en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles; Condamne le Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises aux dépens; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande du Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises; …"

Observations:

I-/ Sur la forme. Très généralement lorsque les procès faits aux conservateurs viennent devant la cour de cassation, les arrêts sont rendus par la 3ème chambre civile qui connaît des litiges relatifs aux droits réels, à la propriété et à l'urbanisme. En l'espèce, il en a été autrement; le pourvoi a été attribué à la chambre commerciale, financière et économique et a donc été considéré comme relevant du contentieux fiscal. Ce choix, de prime abord, surprend puisque l'intimé avait fait grief au conservateur d'avoir indûment refusé d'incorporer au registre public un document dont la publicité était requise et donc d'avoir failli dans l'accomplissement de sa mission d'agent de la loi chargé d'exécuter les formalités prescrites par la loi civile pour la publicité des privilèges et des hypothèques et des autres droits sur les immeubles. Or, à la banque inscrivante il n'avait été opposé aucune disposition du droit de la publicité foncière lors de la notification de la décision de refus; son auteur l'avait prise non pas en sa qualité d'agent de la loi mais dans le cadre de ses activités de comptable de l'administration des impôts chargé de percevoir les taxes rendues exigibles par la publication. Il avait, pour la motiver, invoqué le troisième alinéa de l'article 1701 du code général des impôts qui dispose que " à défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière, le dépôt est refusé ", si bien que la difficulté à résoudre était d'ordre purement fiscal. Ce qui explique que le dossier a été attribué à la chambre commerciale, économique et financière qui, pour casser l'arrêt attaqué, s'est fondé uniquement sur le premier moyen du pourvoi où il était démontré que le non-paiement préalable de la taxe de publicité foncière réclamée avait obligé le conservateur à refuser l'inscription alors même qu'elle n'aurait pas été légalement due.

II-/ Au fond Dans cette affaire, deux thèses s'opposaient, dont les conséquences respectives étaient très importantes au plan des principes. La thèse du déposant consistait à soutenir que la taxe de publicité foncière réclamée par le conservateur pour inscrire l'hypothèque n'étant pas due, il revenait au juge du recours contre les décisions de refus du conservateur institué par l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 issu de la loi n° 98-261 du 6 avril 1998, savoir le président du tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé, de s'assurer du bien-fondé de la taxe exigée par le conservateur et d'annuler le refus si la prétention de celui-ci n'était pas légalement justifiée.

Cette thèse a été faite sienne dans son ordonnance du 28 octobre 1999 par le Président du tribunal de grande instance de Créteil qui s'estimait fondé par l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 à juger au fond le bien-fondé de la taxe exigée, puis par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 24 mars 2000. La seconde thèse, celle du conservateur et de la commission du contentieux de l'AMC, soutenait que l'article 1701 du code général des impôts imposait au conservateur en sa qualité d'agent comptable, dans le cadre du paiement des droits au comptant qu'il définissait, de liquider la taxe de publicité foncière exigible et de ne procéder à l'inscription de l'hypothèque que si la taxe ainsi liquidée était préalablement payée, le déposant n'étant susceptible d'en contester la quotité qu'en respectant la procédure prévue par les articles R 190-1 et suivants du Livre des procédures fiscales, c'est à dire réclamation préalable auprès de l'administration puis saisine du tribunal de grande instance en cas de rejet de celle-ci.

Cette thèse excluait par voie de conséquence de la compétence du président du tribunal de grande instance le règlement des litiges se rapportant à la quotité et l'exigibilité de la taxe de publicité foncière, qui en vertu de l'article L 199 du Livre des procédures fiscales ressortit à la compétence du tribunal de grande instance.

Cette argumentation constituait le premier moyen présenté par le conservateur pour appuyer son pourvoi devant la Haute Juridiction. Dans son arrêt du 12 mai 2004, la Cour de cassation a rejeté sans équivoque les arguments invoqués en dernier ressort par la Cour d'appel pour annuler le refus du conservateur. Elle a jugé que l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 dans sa rédaction issue de la loi n° 98-261 du 6 avril 1998, qui confie au président du tribunal de grande instance le pouvoir d'annuler les décisions de refus de dépôt prises par les conservateurs des hypothèques, n'avait pas eu pour effet de conférer à ce dernier le pouvoir de se prononcer sur le bien-fondé des droits réclamés par le conservateur, qui reste du seul ressort du tribunal de grande instance. Le juge du recours contre les décisions de refus de dépôt en se prononçant sur le caractère éventuellement indu de la taxe avait excédé ses pouvoirs en empiétant sur ceux du juge de l'impôt.

Pour ce faire, la cour de cassation a fait droit au premier moyen développé par le conservateur, après avoir, dans les visas des textes dont elle faisait application, cité les articles 1701 du CGI, 26 du décret du 4 janvier 1955 et L.190 du Livre des procédures fiscales, ce dernier énonçant les principes généraux du contentieux de l'impôt. Pour former sa conviction, la Chambre commerciale, économique et financière a considéré que les règles de droit méconnues par la cour d'appel étaient toutes contenues dans l'article 1701.

C'est ce qui ressort des éléments d'appréciation énoncés dans les quatre alinéas ayant servi à motiver l'arrêt qu'elle a rendu. Dans le premier alinéa, il a été procédé au rappel des trois principes énoncés dans cet article: - le premier est l'obligation faite aux personnes qui requièrent la publicité foncière de payer les droits avant l'exécution de cette publicité sous peine de refus du dépôt; - le second est l'interdiction faite à toute autorité d'atténuer ou différer le paiement desdits droits "sous le prétexte de contestation sur la quotité ou pour quel autre motif que ce soit"; - le troisième est la conséquence obligée des deux premiers dont l'application a pour résultat de faire en sorte qu'en cas de désaccord sur le montant des droits réclamés par le conservateur, il n'est ouvert qu'une seule voie de recours qui est celle consistant " à se pourvoir en restitution." Puis, après avoir dans le second alinéa résumé le déroulement de l'affaire, les Hauts magistrats ont, dans l'alinéa suivant, rappelé les motifs décisifs retenus par la cour de Paris pour justifier la décision soumise à leur censure et ont, en particulier, cité l'affirmation selon laquelle le juge du premier degré qui avait déchargé le créancier inscrivant de la taxe litigieuse avait agi de la sorte " sans excéder ses pouvoirs." Mais dans le dernier alinéa ils ont pris le contre-pied de cette affirmation en déclarant " qu'en statuant ainsi alors que saisie sur le fondement de l'article 26 du décret 55-22 du 4 janvier 1955 dans sa rédaction issue de la loi de la loi 98-261 du 6 avril 1998, elle n'avait pas compétence pour se prononcer sur le bien-fondé des droits réclamés par le conservateur préalablement à l'exécution de l'inscription hypothécaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés."

Cette jurisprudence a ainsi consacré la thèse selon laquelle les droits des actes sont payés avant l'exécution de la formalité de publicité et qu'ils ne peuvent être contestés que selon la procédure prévue par les articles R 190-1 et suivants du Livre des procédures fiscales. En cela, la Haute Juridiction n'a fait que confirmer une jurisprudence bien établie depuis longtemps (notamment Cass. 10 avril 1833; S.33.1.281; J.E. 10 861 ; Cass. 10 juillet 1865; S. 65, 1, 423; Cass. 20 juillet 1886; R.P. 6727 ).

L'arrêt du 12 mai 2004, pris dans une espèce où la totalité des droits n'avait pas accompagné le dépôt de la formalité à publier, doit être appliqué aussi, bien entendu, lorsque les droits consignés sont insuffisants. Pour les mêmes raisons elle s'applique dans les cas où le salaire du conservateur est contesté. En effet, l'article 880 du code général des impôts a institué, comme en matière de droits, le principe du paiement préalable des salaires et l'article 285 de l'annexe III au même code autorise le conservateur à prononcer, à défaut de versement d'avance des salaires, le refus du dépôt des expéditions, extraits, copies ou bordereaux à publier dans les mêmes conditions que celles prévues par l'article 74 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955. En effet, le juge naturel du contentieux de la quotité des salaires comme de la taxe de publicité foncière est le tribunal de grande instance, et le président de ce tribunal ne saurait se substituer à celui-ci. Rapp. Bull. art.1812 et 1826.