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ARTICLE 1000

PROCEDURE.

Rejet de formalité. - Recours contre la décision du conservateur.
Compétence du Président du Tribunal de Grande Instance.

PUBLICITE FONCIERE.

Rejet de formalité.
Bordereau d'inscription ou acte à publier entaché d'omissions ou d'irrégularités.
Ouverture d'une procédure de rejet.
Réparation des omissions ou irrégularités au moyen d'un bordereau ou d'un acte rectificatif ou complémentaire lui-même irrégulier.
Nécessité de la mise en action d'une nouvelle procédure de rejet.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS, 2° CHAMBRE, DU 17 MAI 1974

La Cour,

Statuant sur l'appel interjeté à jour fixe par dame Simone Monique Froc de Geninville, veuve Machavoine, d'une ordonnance de référé rendue le 5 mars 1974 par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris ;

Considérant que dame Machavoine, ayant obtenu du Président du Tribunal de Grande Instance de Paris une ordonnance sur requête l'autorisant à prendre au préjudice d'un sieur Capron une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire, en garantie d'une somme de 150.000 francs, montant provisoirement évalué de sa créance, fit remettre par son conseil le 10 décembre 1973 au Conservateur du ..ième Bureau des Hypothèques de N..., deux exemplaires d'un bordereau en vue de prendre cette inscription ; que cette remise fut mentionnée le même jour sur le registre des dépôts ;

Considérant que, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 janvier 1974, parvenue le 10 janvier au conseil de dame Machavoine, le Conservateur fit connaître à celui-ci que le bordereau déposé était irrégulier en ce qu'il ne précisait pas l'état civil du débiteur, la superficie cadastrale de l'immeuble, n'indiquait pas le titre de propriété et ne mentionnait pas que le débiteur n'était propriétaire que de la moitié de l'immeuble ; qu'il invitait le déposant à régulariser le document avant l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification, l'informant qu'à défaut de rectification dans ce délai, la formalité serait rejetée ;

Considérant que le 5 février 1974, le conseil de dame Machavoine fit parvenir au Conservateur deux exemplaires un nouveau bordereau ; qu'il n'est pas contesté que ce nouveau bordereau contenait toutes les précisions qui avaient été omises dans le bordereau initialement déposé ; que cependant, par lettre recommandée du 18 février 1974, le Conservateur notifia une décision de rejet de la formalité au motif que le " rejet " n'avait pas été " régularisé correctement " ; qu'il résulte des explications données ultérieurement que ce rejet était dû au fait que, contrairement aux prescriptions de l'article 76-1 du décret du 14 octobre 1955, les deux nouveaux bordereaux, dactylographiés, n'avaient pas été obtenus par impression directe, mais par interposition d'un papier carbone ;

Considérant que deux autres bordereaux, obtenus par impression directe, furent alors déposés, mais ne furent inscrits au registre des dépôts, qu'à la date de leur remise, soit le 22 février 1974 ;

Considérant qu'en cet état dame Machavoine fit assigner le Conservateur des Hypothèques devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, tenant l'audience des référés, à l'effet de voir dire que c'était à tort qu'il avait pris une décision de rejet, voir infirmer cette décision, voir dire que la formalité serait exécutée et que l'hypothèque serait publiée avec rang du 10 décembre 1973, date du dépôt initial ;

Considérant que, par l'ordonnance dont appel, le Président du Tribunal, estimant qu'il y avait contestation sérieuse, a dit n'y avoir lieu à référé ;

Considérant que devant la Cour dame Machavoine soutient que le premier juge s'est mépris sur les limites de ses pouvoirs ; qu'elle prétend, en effet, que si le Président du Tribunal, saisi en vertu de l'article 26 du décret du 4 janvier 1955, en cas de rejet d'une formalité hypothécaire statue " comme en matière de référé ", il a néanmoins, ainsi que le précise l'article 74-5 du décret du 14 octobre 1955, le pouvoir de " statuer au fond " et qu'ainsi il ne pouvait refuser de statuer au motif qu'il existait une " contestation sérieuse " ;

Considérant que dame Machavoine fait valoir, d'autre part, que si, en vertu de l'article 56, alinéa 1er du décret, le bordereau destiné à être conservé au Bureau des Hypothèques doit être établi comme il est dit aux paragraphes 2 à 4 de l'article 76- 1 et si, par conséquent, il doit être établi par impression directe et non par interposition d'un papier carbone, l'article 56, alinéa 2, dispose qu'en cas d'inobservation de cette règle, le Conservateur doit inviter le signataire du certificat d'identité " dans la forme prévue à l'article 34, alinéa 3 ", déposer un nouveau bordereau correctement établi dans un délai d'un mois à compter de la notification, sous peine de rejet ; qu'elle fait grief au Conservateur d'avoir rejeté la formalité sans lui avoir fait la notification prévue par ce texte et d'avoir ainsi méconnu les prescriptions légales et l'intention du législateur ; qu'elle fait observer que, bien qu'aucune inscription n'ait été prise entre le 10 décembre 1973 et le 22 février 1974, elle a cependant intérêt à ce que l'effet de son inscription remonte an 10 décembre 1973, notamment pour le cas où son débiteur serait déclaré en état de règlement judiciaire ou de liquidation de biens avec fixation de la cessation des paiements à une date comprise dans cet intervalle ;

Considérant que dame Machavoine demande en conséquence à la Cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de dire que c'est à tort que le Conservateur a pris la décision de rejet du 18 février 1974, de dire que la formalité litigieuse sera exécutée et l'hypothèque publiée avec rang du 10 décembre 1973, date du dépôt initial ; *

Considérant que le Conservateur des Hypothèques s'en rapporte à la sagesse de la Cour en ce qui concerne les pouvoirs du Juge des référés ; qu'au fond, il fait valoir que lorsque les pièces déposées sont irrégulières, la formalité reste " en attente ", et que cette situation ne peut sans inconvénients se prolonger longtemps ; qu'il fait observer que les textes visant les irrégularités de fond (art. 34) ou de forme (art. 55 et 56), renvoient tous à la procédure établie à l'article 34, alinéa 3, qui prévoit que le Conservateur dispose d'un délai d'un mois à compter du dépôt pour signaler l'irrégularité au déposant (notamment par lettre recommandée), cette notification faisant courir un autre délai d'un mois pendant lequel le déposant doit réparer l'irrégularité à peine de rejet de la formalité ; qu'il soutient que, quelles que soient ces irrégularités et leur cause, elles doivent être réparées dans ce délai unique d'un mois qui ne peut être prorogé pour quelque cause que ce soit ; qu'il prétend qu'en l'espèce le délai imparti à dame Machavoine pour régulariser " définitivement " la formalité requise expirait le 10 février 1974 et que, cette régularisation n'ayant pas été faite, c'est à juste titre qu'une décision de rejet de la formalité a été prise le 18 février 1974 ; qu'il demande en conséquence à la Cour de dire que l'inscription prise en vertu des nouveaux bordereaux ne peut prendre rang qu'à la date du dépôt de ces bordereaux, soit le 22 février 1974 ;

SUR CE

Considérant qu'en vertu de l'article 226 du décret du 4 janvier 1955, en cas de rejet d'une formalité par le Conservateur des Hypothèques, le recours contre cette décision est porté, dans les huit jours, devant le Président du Tribunal de Grande Instance qui statue " dans la forme des référés " par une ordonnance qui n'est pas susceptible d'exécution provisoire ; que l'article 74, alinéa 5, du décret du 14 octobre 1955 précise que ce magistrat " statue au fond " ; que les pouvoirs du premier juge n'étaient donc pas limités aux cas prévus aux articles 73 et suivants du décret du 9 septembre 1971 relatifs aux référés; qu'il ne pouvait donc s'abstenir de statuer au motif qu'il existait une contestation sérieuse ;

Considérant qu'en vertu de l'article 34, alinéa 3, du décret du 14 octobre 1955, au cas " d'inexactitude ou de discordance " des documents remis aux fins de publicité hypothécaire comme au cas de défaut de publication du titre du disposant, le Conservateur notifie " dans un délai maximum d'un mois à compter du dépôt " les irrégularités relevées au signataire du certificat d'identité qui doit, dans un délai d'un mois à compter de cette notification, procéder aux régularisations nécessaires, notamment par le dépôt d'un bordereau ou document rectificatif ; que cette notification peut être faite, en particulier, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;

Considérant que l'article 76- 1 du même décret énumère les conditions de forme auxquelles sont soumis les documents déposés à la Conservation des Hypothèques ; que le paragraphe 2 de cet article dispose, notamment, que si les bordereaux d'inscription sont dactylographiés, ils doivent être obtenus par impression directe et non par interposition d'un papier carbone ;

Considérant que l'article 56 dispose, dans son alinéa 1er, que le bordereau d'inscription destiné à être conservé au Bureau des Hypothèques doit être établi " comme il est dit aux paragraphes 2 à 4 de l'article 76-1 " ; que le deuxième alinéa du même article prévoit qu'en cas d'inobservation de cette règle, le Conservateur invite le signataire du certificat d'identité " dans la forme prévue à l'article 34, alinéa 3 ", à déposer un nouveau bordereau correctement établi, ou à régulariser le bordereau déposé, dans le délai d'un mois à compter de la notification sous peine de rejet ; qu'à l'inverse de l'article 34, alinéa 3, ce texte n'impartit cependant aucun délai au Conservateur pour faire sa notification ;

Considérant qu'on ne saurait déduire de ces textes que toutes les irrégularités doivent être réparées dans un délai unique d'un mois à compter de la notification faite par le Conservateur en application de l'article 34, alinéa 3 ; que seules doivent être réparées dans ce délai les irrégularités affectant les bordereaux initialement déposés, irrégularités qui ont dû être notifiées par le Conservateur au signataire du certificat d'identité ; qu'on ne saurait imposer au signataire de ce certificat l'obligation de déposer de nouveaux bordereaux exempts de tout vice, ni de réparer avant l'expiration du délai, de nouvelles irrégularités qui ne lui ont pas été signalées ;

Considérant qu'en l'espèce, le Conservateur des Hypothèques n'était donc pas fondé à prendre, le 18 février 1974, une décision de rejet de la formalité alors que le déposant avait réparé, dans le délai d'un mois, les irrégularités de son bordereau initial et qu'il n'avait pas été invité par une nouvelle notification, faite en application de l'article 56, alinéa 2, du décret, à réparer une irrégularité de forme dans le nouveau bordereau déposé ;

Considérant que dame Machavoine a intérêt à ce que son inscription hypothécaire prenne rang du 10 décembre 1973 plutôt que du 22 février 1974 ; qu'il convient donc de faire droit à sa demande ;

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance du 5 mars 1974 et statuant à nouveau :

Dit que la décision de rejet de la formalité prise le 18 février 1974 par le Conservateur des Hypothèques du ième Bureau de N... n'est pas fondée ;

Dit que l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire requise par dame Machavoine sera prise avec rang du 10 décembre 1973

Observations : I. - Lorsqu'il statue sur un litige né à l'occasion d'un rejet de formalité de publicité foncière, le Président du Tribunal de Grande Instance agit, non pas en qualité de juge des référés, par application des art. 73 et suivants du décret n° 7 1 -740 du 9 septembre 1971, mais en vertu de la compétence spéciale que lui donne l'art. 26 du décret du 4 janvier 1955. Il n'est pas tenu dès lors par les limites que comporte la procédure des référés et, en particulier, peut statuer sur le fond (Rappr. : C. Aix-en-Provence, 26 avril 1971, Bull. A.M.C., art. 935 ; Cass. Civ. 3°, 17 juillet 1972, Bull. A.M.C., art. 944). C'est ce que précise d'ailleurs l'art. 74, § 5, du décret du 14 octobre 1955. (Rappr. : Bull. A.M.C., art. 328 ; Observations § II.)

L'ordonnance du 5 mars 1974 par laquelle le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur la légitimité du rejet d'une inscription hypothécaire ne pouvant dès lors qu'être infirmée.

II. - Dans le cas d'espèce soumis à la Cour d'Appel, une procédure de rejet avait été entamée dans les conditions prévues à l'art. 34, § 3, du décret du 14 octobre 1955, en vue de la régularisation d'un bordereau d'inscription comportant plusieurs lacunes. Dans le mois de la notification, le requérant a déposé un nouveau bordereau réparant les omissions signalées ; mais ce bordereau était lui-même irrégulier du fait que, établi à la machine à écrire, il n'était pas obtenu par impression directe.

La question qui se posait était celle de savoir si cette régularisation au moyen un bordereau irrégulier équivalait à un défaut de régularisation motivant un rejet définitif à l'expiration du délai d'un mois imparti ou si, avant de prononcer ce rejet définitif, le Conservateur devait engager une nouvelle procédure accordant à l'intéressé un nouveau délai d'un mois pour substituer au bordereau complémentaire irrégulier un bordereau régulièrement établi.

La Cour d'Appel s'est prononcée en faveur du second terme de l'alternative et sa décision nous paraît faire une exacte application des textes en cause.

En effet, aux termes de l'art. 56, § 2, du décret du 14 octobre 1955, lorsqu'un bordereau d'inscription ne satisfait pas aux prescriptions de l'art. 76-I, § 2, du même décret et spécialement si, établi à la machine à écrire, il est obtenu avec interposition d'un papier encre ou d'un papier carbone, " le Conservateur invite le signataire du certificat d'identité... à déposer un nouveau bordereau correctement établi. dans le délai d'un mois à compter de la notification, sous peine de rejet ".

Lorsque le nouveau bordereau est déposé dans le délai imparti, l'inscription n'est pas rejetée et continue à produire ses effets comme si le premier bordereau avait été régulier dès l'origine.

L'art. 56 ne fait pas de distinction. Ses prescriptions sont applicables aux bordereaux d'inscription de toute nature et, en particulier, aux bordereaux complémentaires ou rectificatifs.

Il en résulte, lorsqu'un bordereau de l'espèce, établi à la machine à écrire, n'est pas obtenu par impression directe :

1° Que le signataire du certificat d'identité doit être invité par le Conservateur à déposer dans le délai d'un mois un nouveau bordereau correctement établi ;

2° Que si ce bordereau est déposé dans le délai d'un mois, les omissions ou irrégularités qu'il vise se trouvent réparées à la même date que si le premier bordereau complémentaire ou rectificatif avait été régulier.

Au cas particulier, le bordereau irrégulier du 5 février 1974 avait été remplacé par un nouveau bordereau correctement établi le 22 février 1974, c'est-à-dire en temps utile, puisque, faute de notification de l'irrégularité, le délai d'un mois prévu à l'art. 56, § 2, n'avait pas encore commencé à courir.

Les omissions constatées dans le bordereau originaire du 1 0 décembre 1973 se trouvaient ainsi considérées comme réparées à la date du 5 février 1974, c'est-à-dire avant l'expiration du délai d'un mois qui avait commencé à courir le 10 janvier 1974, date de la réception par le destinataire de la notification desdites omissions.

Le rejet définitif notifié le 18 février 1974, alors que la rectification était encore possible, manquait par suite de base.

On objectera sans doute que l'interprétation qui précède a pour conséquence de prolonger le délai pendant lequel l'inscription irrégulière demeure " en attente ". C'est un inconvénient qui n'est pas niable. Mais cette considération ne peut prévaloir contre le caractère impératif des textes en vigueur.

III. - Dans le cas d'espèce soumis à la Cour d'Appel, le bordereau rectificatif était irrégulier du fait que, établi à la machine à écrire, il n'était pas obtenu en frappe directe. Mais la règle tracée par l'arrêt a une portée plus étendue.

Tout d'abord, elle s'applique également aux cas où le bordereau rectificatif ou complémentaire ne remplit pas l'une des autres conditions énumérées aux §§ 2 à 4 de l'art. 76-I du décret du 14 octobre 1955.

Elle s'étend en outre au cas prévu par l'art. 55, § 3, du décret susvisé où le bordereau n'a pas été établi sur une formule réglementaire.

D'une manière plus générale, elle doit recevoir son application dans toutes les hypothèses où le bordereau d'inscription rectificatif ou complémentaire déposé à la suite d'une notification d'irrégularité comporte lui-même un motif de rejet n'affectant pas le bordereau initial, quel que soit ce motif et qu'il porte sur la forme ou sur le fond (cf. notamment l'art. 2148 C.C. et l'énumération contenue dans l'art. 74, § 2, du décret du 14 octobre 1955).

Enfin, elle est applicable également en matière de publications dans tous les cas où un acte complémentaire ou rectificatif déposé à la suite d'une notification d'irrégularité est lui-même entaché d'une cause de rejet autre que celle ayant motivé cette notification.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 490 A, n, II (feuilles vertes).