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Art. 1814

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif
Immeuble grevé sorti du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau en vertu d'un acte publié mais susceptible d'être rendu inopposable au créancier par suite de l'engagement de l'action paulienne

Arrêt de la Cour d'appel de Pau ( 1ère Chambre )

du 24 juin 1999

Faits : Le 24 juin 1999, la Cour d'appel de Pau a infirmé l'ordonnance qui, rendue le 24 mars 1998 par le Président du tribunal de grande instance de Tarbes, a été relatée et commentée à l'article 1791 du Bulletin, auquel, dès lors, pour sa plus complète information, le lecteur est invité à se reporter.

Cette affaire a été initiée par le trésorier de V. à la suite du rejet d'une inscription d'hypothèque légale du Trésor requise le 1er octobre 1997 pour conserver un arriéré d'impôts directs dû par les époux C...

Ce rejet a été justifié par la circonstance que l'immeuble que l'inscription en cause devait grever avait été cédé par M. et Mme C... à l'un de leurs enfants suivant un acte de donation-partage conclu le 7 avril 1995 et publié le 7 août de la même année.

A l'encontre de cette libéralité, plus de 2 ans après qu'elle eut été consentie, le comptable public susdésigné exerça l'action paulienne.

A cette fin, les 14 et 15 octobre 1997, il assigna les donateurs et les donataires devant le tribunal de grande instance de Bordeaux qui est celui du domicile des défendeurs.

A ce tribunal, il demanda de déclarer l'acte de donation inopposable au Trésor et, dans l'intérêt du recouvrement de sa créance et à la mesure de cet intérêt, d'ordonner la révocation dudit acte et le retour de l'immeuble aliéné dans les patrimoines des débiteurs.

Mais ce retour est un événement futur et incertain dont, d'ailleurs, notre collègue, M. D..., n'apprit l'éventualité que lorsque, le 3 novembre 1997, l'assignation fondée sur l'article 1167 du code civil fut publiée à son bureau.

Quelques jours avant, le 24 octobre 1997, ce conservateur avait relevé et notifié pour valoir cause de rejet la discordance résultant de la donation du 7 avril 1995.

En effet, selon l'arrêt de cassation du 12 juin 1996 ( Bull. AMC, art. 1764 ), seul le bénéficiaire actuel du droit qui se trouve transféré, modifié, confirmé, grevé, etc. a la qualité de " disposant ou dernier titulaire " au sens donné à ces termes au second alinéa du 1 de l'article 32 du décret du 14 octobre 1955.

Or, cette qualité n'était pas attribuée aux mêmes personnes, d'une part, dans les énonciations du bordereau à formaliser et, d'autre part, dans celles du titre de propriété introduit en dernier au registre public.

Il y avait donc bien une discordance et celle-ci, comme il est prescrit au 3 de l'article 34 du décret déjà cité, obligeait le conservateur à rejeter la formalité.

C'est ce que notre collègue fit le 3 décembre 1997.

Le 12 décembre 1997, ce rejet fut déféré au président du tribunal de grande instance de Tarbes qui, le 24 mars 1998, le confirma; mais soumis le 3 avril 1998 à la censure de la juridiction d'appel, il fut le 24 juin 1999, jugé illégal par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après.

" Prétentions et moyens des parties. Le trésorier de V... conclut à la réformation de l'ordonnance entreprise et demande à la Cour de dire que le conservateur des hypothèques de T... devra exécuter la prise d'inscription de l'hypothèque légale en date du 1er octobre 1997 et sera condamné à lui payer, outre les dépens, 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Se fondant sur les règles régissant la publicité foncière et plus particulièrement sur les dispositions de l'article 34, 2 du décret du 14 octobre 1955, il estime que dans l'hypothèse du bien ayant appartenu aux époux C..., la loi a prévu qu'il ne s'agissait pas d'une discordance.

Il réfute l'analyse faite par M. D..., conservateur des hypothèques, car l'arrêt de la cour de cassation concernait une hypothèse différente et fait valoir qu'en l'état des textes, une disposition légale prime.

M. D..., conservateur des hypothèques, conclut à la confirmation de la décision du premier juge et sollicite, outre les dépens, 20 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Se fondant sur un arrêt de la cour de cassation en date du 12 juin 1996 qui a retenu le principe de la responsabilité d'un conservateur des hypothèques, il estime qu'ayant constaté une discordance entre les propriétaires, les biens n'appartenant plus au débiteur, il a refusé d'inscrire l'hypothèque sollicitée.

Il se livre à l'exégèse des arrêts de la cour d'appel de Paris et de celui de la Cour de cassation qui légitime selon lui son refus d'inscription.

Discussion. Conformément aux dispositions de l'article 26 du code civil, le président du tribunal de grande instance est compétent pour connaître du refus d'inscription d'une hypothèque; il statue en la forme des référés.

En l'espèce, la cour constate qu'une donation étant intervenue, suivant acte publié le 7 août 1995 entre les époux C... et leurs enfants, le bien immobilier situé à L..., cadastré..., ne leur appartenait plus à la date du 1er octobre 1997 lorsque le Trésor public a sollicité l'inscription d'hypothèque.

Il est exact que les dispositions de l'article 34-1 du décret du 14 octobre 1955 imposent une obligation au conservateur des hypothèques qui doit vérifier l'exactitude des références à la formalité antérieure et la concordance des titres (désignation des parties, qualité de disposant ou de dernier titulaire, désignation individuelle des immeubles) sous peine de voir engager sa responsabilité.

En l'espèce, ayant constaté que la sûreté concernait les anciens propriétaires, il a estimé qu'il n'y avait pas concordance au sens où l'avait entendu la cour de cassation dans un arrêt en date du 12 juin 1996 qui avait retenu la responsabilité d'un conservateur des hypothèques.

Il y a lieu de rappeler que conformément aux dispositions de l'article 5 du code civil, la référence à une décision rendue dans un litige différent de celui soumis à une juridiction ne saurait servir de fondement à la décision de cette dernière d'autant qu'en l'espèce, l'article 34 par. 2 du décret du 14 octobre 1955 prévoit: "il n'y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens du 1 de l'article 32, a cessé postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d'un acte ou d'une décision judiciaire ultérieurement publié".

Le devoir de précaution du conservateur des hypothèques qui ressort des textes sur la publicité foncière lui impose une vigilance sur la concordance des titres afin de garantir la fiabilité du système français de publicité foncière; toutefois, en sa qualité de professionnel averti, il ne peut ni se retrancher derrière les dispositions de l'article 34 par.2 en prétendant que le fait d'avoir été propriétaire du bien à un moment donné justifie l'inscription de toutes les sûretés sollicitées ni de les refuser au motif que sa responsabilité peut être engagée.

L'obligation de vérification qui pèse sur le conservateur des hypothèques dont il est susceptible d'avoir à répondre ne justifie pas de sa part dans le cas d'espèce, une attitude de refus systématique, les dispositions de l'article précité étant toujours en vigueur.

Les époux C..., débiteurs du Trésor public, ayant fait une donation à leurs enfants, qui fait l'objet d'une action paulienne, il convient, réformant la décision du premier juge, de faire droit à la requête du Trésor public et d'ordonner en conséquence l'inscription sollicitée le 1er octobre 1997.

Le contexte particulier dans lequel s'inscrit cette affaire justifie qu'il ne soit pas fait application à la présente espèce des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Les dépens seront à la charge de M. D..., conservateur des hypothèques, et seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Reçoit l'appel du Trésor public,
Réforme l'ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Tarbes en date du 24 mars 1998.

Dit que Monsieur le conservateur des hypothèques du 2ème bureau de T... devra inscrire l'inscription d'hypothèque sollicitée le 1er octobre 1997 par Monsieur le Trésorier de V...

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Dit que les dépens seront supportés par Monsieur D...

Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC, la SCP R..., avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision."

Observations. Notre regretté collègue H... ne s'était pas opposé à la prise de deux inscriptions sur un immeuble qui n'appartenait plus au débiteur en vertu d'un acte publié.

Poursuivi en indemnité par le propriétaire de ce bien, il fut reconnu coupable d'avoir commis une faute professionnelle et ce, d'abord par le tribunal de grande instance de Paris, puis par la Cour d'appel siégeant dans cette ville, enfin, par la Cour de cassation.

C'est ce qui est relaté aux articles 1698 et 1764 du présent bulletin.

Or, dans l'arrêt sus reproduit, rendu le 24 juin 1999, la cour d'appel de Pau a pris le contre-pied de cette jurisprudence.

Elle a, en effet, condamné le conservateur de Tarbes, M. D..., à faire précisément ce que dans les décisions susvisées et donc à chacun des degrés de juridiction, il avait été reproché à M. H... d'avoir fait.

En effet, à M. D..., il a été enjoint d'opérer une inscription requise le 1er octobre 1997 contre les époux C... sur un immeuble donné par eux à l'un de leurs enfants par un acte publié le 7 août 1995.

Face à cette étonnante contradiction, notre collègue situa la vérité juridique dans ce qui a été jugé à Paris.

Aussi, en plein accord avec le comité de contrôle de notre association, son successeur M. M… s'est-il pourvu en cassation.

Dans le mémoire ampliatif, il est présenté un moyen unique qui tend à démontrer que pour rendre l'arrêt attaqué, la Cour de Pau a fait une fausse application des dispositions du 2 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955 sur lesquelles elle s'est fondée.

A cette fin, ont été invoqués exactement les mêmes motifs que ceux par lesquels la Cour de cassation a le 12 juin 1996 rejeté le pourvoi des héritiers de M. H…

Il a donc tout d'abord été affirmé que telle qu'elle est employée à l'article 3 du décret du 4 janvier 1955 et définie à l'article 32 § 1 du décret du 14 octobre 1955, l'expression " disposant ou dernier titulaire " désigne la personne qui, d'après les documents déjà publiés, est le bénéficiaire actuel du droit dont il est disposé.

C'est ce que la Cour suprême a jugé lorsque, pour débouter les consorts H…, elle a qualifié Mme M.. de " dernier titulaire au sens de l'article 32, paragraphe 1 "

L'interprétation ainsi donnée à cet article n'avait jamais été aussi clairement formulée mais elle semble solidement étayée parce que conforme à la lettre du texte.

En effet, le " dernier titulaire " est le dernier en date et donc le plus récent des bénéficiaires successifs du droit et le terme "disposant" ne peut que désigner le titulaire actuel puisque c'est lui et lui seul qui est pénalisé par l'acte de disposition;

Ensuite, il est remarqué qu'alors que dans les bordereaux remis le 1er octobre 1997 en vue d'opérer l'inscription en cause, la qualité de "disposant ou dernier titulaire" est attribuée aux époux C…, il ressort des constatations mêmes faites par les juges du fond qu'en vertu d'une donation publiée le 7 août 1995, l'immeuble grevé appartenait à leur fille, Mlle C…

Or, lorsque ladite inscription a été requise, le titre de propriété de cette donataire, loin d'avoir cessé de produire ses effets postérieurement à sa publication au fichier immobilier, les avait conservés en entier.

Il ne pouvait donc qu'être reconnu que les dispositions de la seconde phrase du 2 de l'article 34 n'étaient pas susceptibles de recevoir application.

De là, il est déduit que le conservateur devait, comme il l'a fait, relever la discordance touchant à la désignation " du disposant ou dernier titulaire ", la notifier au signataire du certificat d'identité et, cette anomalie n'ayant pas été supprimée dans le délai légal de régularisation d'un mois, prononcer et notifier le rejet de l'inscription.

Ce qui conduit à conclure qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les dispositions légales réglant l'application aux inscriptions du principe dit " de l'effet relatif " et donc les articles 2148 du code civil et 34 du décret du 14 octobre 1955.

A cette argumentation si, comme l'a considéré l'AMC ( cf. Lettre d'information n°1 de janvier 1997 ), l'arrêt du 12 juin 1996 a la valeur d'un arrêt de principe, il n'apparaît - a priori - rien qui puisse être utilement répliqué.

Rapprocher: Bull. AMC, art. 1764 et 1791.