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Art. 1838

Publicité foncière

Effet relatif - Inscriptions

Immeuble grevé sorti du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau en vertu d’un acte publié mais susceptible d’être rendu inopposable au créancier par suite de l’engagement de l’action paulienne

Rejet de la formalité (oui)

Arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ( 1ère chambre A ) du 20 juin 2000

Faits : Dans ce procès venu en appel, l’intimé est notre collègue, M. L… et la décision soumise à la censure de la Cour d’Aix est une ordonnance rendue le 18 février 1998 par le président du Tribunal de grande instance de Grasse.

Or, cette ordonnance est l’une des deux décisions de justice insérées et commentées à l’article 1791 du Bulletin auquel le lecteur est invité à se reporter.

Les faits de la cause sont rappelés et précisés ci-après.

En 1992 et 1994, une banque, la société M…, a par-devant notaire accordé successivement trois prêts à l’un de ses clients, M. B…, qui, ainsi qu’en témoignèrent plusieurs incidents de paiement, ne respecta pas ponctuellement ses engagements.

En outre, cet emprunteur vendit à son frère et à sa belle-sœur deux lots de copropriété lui appartenant.

Il le fit par un acte notarié reçu le 30 août 1996 et publié le 26 septembre suivant au bureau des hypothèques de G…

Aussi, la banque prêteuse, estimant que cette vente avait été conclue en fraude de ses droits, exerça-t-elle à l’encontre de l’emprunteur et de ses cocontractants l’action ouverte à l’article 1167 du code civil.

L’assignation délivrée à cette fin le 27 mars 1997 fut, le 30 avril de la même année, publiée au bureau déjà cité.

Ensuite, le 5 juin 1997, contre son débiteur et sur les deux lots dont il s’était défait, la même banque requit une inscription provisoire d’hypothèque judiciaire en invoquant et présentant les actes notariés de prêt.

Le 28 août 1997, elle tenta de confirmer cette sûreté conservatoire en demandant l’exécution de la publicité définitive prescrite par les articles 260 et suivants du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992.

Ces deux formalités, enregistrées au registre des dépôts, firent l’objet de notifications de causes de rejet et furent mises en attente.

Le 3 novembre 1997, à l’issue de la procédure contradictoire, le conservateur les rejeta; il avait, en effet, relevé qu’il ressortait des informations figurant au fichier que les droits immobiliers appelés à être grevés appartenaient non pas au débiteur mais aux personnes à qui il les avait cédés.

Par suite, conformément à la jurisprudence résultant de l’arrêt de cassation du 12 juin 1996, c’était à ces acquéreurs et non à leur vendeur qu’au sens du 1 de l’article 32 du décret du 14 octobre 1955, la qualité de " disposant ou dernier titulaire " devait être reconnue.

Il y avait donc, sur l’identité de ce dernier, entre les énonciations d’une part, des documents à formaliser et d’autre part, de ceux déjà publiés, une discordance qui, en application des dispositions combinées du 1 et du 3 de l’article 34 du même décret, faisait obstacle à l’achèvement de la formalité et obligeait à en prononcer le rejet.

Ce contre quoi la banque M… s’éleva en portant le désaccord devant le président du tribunal grande instance de Grasse; puis, ayant été déboutée, elle interjeta appel devant la Cour d’Aix à laquelle elle demanda de déclarer les rejets attaqués non fondés, d’ordonner en conséquence l’exécution des inscriptions provisoire et définitive vainement requises et, en outre, de lui allouer une indemnité de 10.000 F en application de l’article 700 N.C.P.C.

Le moyen de légalité venant à l’appui de ces conclusions a déjà été présenté en première instance; il est tiré de la seconde phrase du paragraphe 2 de l’article 34 déjà cité qui dispose qu’ "  il n’y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens du 1 de l’article 32, a cessé, postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publié ."

Mais dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 1996, ce moyen, quoique expressément invoqué, n’a pas été admis par la Haute Juridiction qui, après avoir qualifié le nouveau propriétaire de " dernier titulaire ", a relevé qu’il avait un titre " n’ayant pas cessé de produire ses effets au moment de l’inscription de l’hypothèque .hypothèque."

Aussi, l’appelante, comme elle l’avait fait devant le premier juge, a-t-elle continué à affirmer que les deux cas, celui qui la concerne et celui qui lui est opposé, sont "  fondamentalement différents " car, en exerçant l’action paulienne, elle a remis en cause le transfert de la propriété du bien grevé.

Or, cette demande en justice a été publiée avant que les inscriptions en cause aient été requises si bien qu’eu égard à cette dissemblance, le conservateur n’était pas en droit de se prévaloir du précédent jurisprudentiel sur lequel il s’est fondé.

Il devait, dès lors, " avoir une attitude tout à fait neutre et accepter au dépôt les inscriptions d’hypothèque du chef de l’ancien propriétaire ", remarque étant faite que " si l’action paulienne échoue, l’inscription d’hypothèque sur l’ancien propriétaire deviendra caduque d’elle-même et que si elle réussit, elle trouvera son plein effet .effet."

En réponse, notre collègue, tout en reconnaissant le caractère novateur de ce précédent, observe que, sauf à engager sa responsabilité personnelle, il ne peut qu’appliquer la règle de droit qui en découle laquelle se ramène à considérer que le " disposant ou dernier titulaire " n’est pas la personne indiquée comme telle dans l’écrit remis au conservateur mais celle qui, dans les documents déjà publiés, apparaît comme étant le titulaire actuel du droit qui va être grevé.

Or, les droits de ce titulaire n’ont en rien été modifiés par l’engagement de l’action paulienne et pourtant, si le conservateur avait accepté les formalités requises, il aurait fait comme si cette action avait prospéré.

C’est alors qu’il aurait pu lui être fait grief d’avoir manqué à son devoir de neutralité en préjugeant le succès alors surtout que, contrairement aux allégations de la banque M…, en cas d’échec, les inscriptions ne deviendraient pas caduques d’elles-mêmes mais subsisteraient tant qu’elles n’auraient pas été périmées ou radiées.

D’où il est conclu à la confirmation de l’ordonnance entreprise et à la condamnation de l’appelante aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 5.000 F au titre des frais irrépétibles.

Cette argumentation convainquit la Cour d’Aix de la validité des rejets litigieux.

En effet, cette juridiction, après, comme il est devenu légalement possible, avoir limité l’exposé des prétentions respectives des parties à l’indication des dates de dépôt de leurs conclusions, débouta l’appelante par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après  :

SUR CE

1 - Attendu que l’appel, régulier en la forme, est recevable ;

2 -Attendu que selon l’article 2148 du Code Civil relatif aux hypothèques, si le conservateur constate une discordance entre, d’une part, les énonciations relatives à l’identité des parties ou à la désignation des immeubles contenues dans le bordereau, et d’autre part, ces mêmes énonciations contenues dans les bordereaux ou titres déjà publiés depuis le 1er janvier 1956, la formalité est rejetée ;

Attendu que le disposant ou dernier titulaire s’entend de la personne dont le droit se trouve grevé par la formalité dont la publicité est requise à la date de la réquisition de la formalité ( article 32-1 du décret du 14 octobre 1955 ) ;

Attendu que dans les bordereaux d’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire du 5 juin 1997 et définitive du 28 août 1997, la M…Banque a indiqué que le dernier titulaire était P…B… et que le titre d’acquisition avait été publié le 5 mai 1995 ;

Attendu que le conservateur a rejeté les formalités en constatant que la dernière personne qui voyait son droit grevé d’une hypothèque n’était pas Ph… B…, mais P… B… et E… G…, son épouse, lesquels avaient acquis le bien désigné par acte du 30 août 1996 publié au premier bureau des hypothèques de G… le 26 septembre 1996 vol… n°…  ;

Attendu que le disposant ou dernier titulaire indiqué comme tel dans la requête en inscription ne pouvait donc être le précédent propriétaire, réel débiteur, à savoir Ph…B…  ;

Attendu que l’article 34-2 du décret susvisé précise qu’il n’y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire au sens du 1 de l’article 32 a cessé postérieurement à sa publication au fichier immobilier de produire tout ou partie de ses effets en raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publié ;

Attendu que la M… Banque expose avoir engagé une action paulienne à l’encontre de Ph…B… et des époux P… B…par assignation en date du 27 mars 1997, publiée au premier bureau des hypothèques de G… le 30 avril 1997, soit à une date antérieure aux réquisitions litigieuses ;

Attendu que cette circonstance ne suffit pas à établir l’absence de discordance au sens de l’article 34-2 du décret dès lors que les droits du dernier titulaire indiqué comme tel, comme d’ailleurs ceux du précédent propriétaire ne peuvent être modifiés qu’à raison d’un "  acte ou d’une décision judiciaire " ultérieurement publié, l’assignation quoique garantissant suffisamment les droits de la M… Banque dans le cadre de l’action paulienne n’étant assimilable ni à un acte juridique ni à une décision judiciaire ;

Attendu qu’ainsi, aucun des moyens de l’appelante n’est pertinent et qu’il échet de confirmer la décision ayant validé le rejet par le conservateur des formalités requises par la M…Banque;

Vu l’article 696 du Nouveau code de procédure civile ;

 

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort,

Reçoit l’appel ;

Confirme l’ordonnance entreprise ;

Y ajoutant

Condamne la M…Banque à payer à Monsieur le Conservateur des hypothèques de G… une somme de cinq mille francs ( 5.000 Francs ) en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Condamne la M…Banque aux dépens ;

Autorise la SCP C…, avoué, à recouvrer directement contre elle le montant de ses avances.

 

Observations  : L’arrêt qui précède demande à être rapproché de celui qui, rendu le 24 juin 1999 par la Cour d’appel de Pau, a été reproduit et commenté à l’article 1814 du Bulletin.

En effet, entre les deux affaires, l’analogie est frappante: dans chacune, l’inscrivant se propose de grever un immeuble dont le débiteur s’est défait en vertu d’un acte qui a été publié mais contre lequel l’action paulienne a été exercée.

La seule différence tient à ce que, dans l’affaire jugée à Pau, l’assignation en inopposabilité est postérieure à la réquisition de l’inscription qui a été rejetée, alors que dans la présente espèce, elle est antérieure: elle a été signifiée le 27 mars 1997; le 30 avril, elle a été remise au bureau de G… pour être publiée et ce ne fut que le 5 juin et donc cinq semaines plus tard que l’inscription provisoire a été requise.

Mais cette particularité ne saurait expliquer que le rejet de la formalité ait été annulé à Pau et validé à Aix car elle n’est pas de nature à avoir exercé une influence sur la solution du litige.

La question à trancher se ramène, en effet, au point de savoir si ce recours juridictionnel a eu ou non pour résultat de rétablir le débiteur dans la situation de " disposant ou dernier titulaire .titulaire."

Par suite, si ce résultat devait être regardé comme obtenu dans un cas où le conservateur ne connaissait pas l’existence de l’action paulienne lorsqu’il a relevé la discordance, a fortiori en serait-il de même dans la situation inverse, qui est celle où en rapprochant le bordereau du fichier, il a appris qu’elle avait été exercée.

La contrariété, en réalité, ne résulte ni des éléments des dossiers ni des moyens invoqués de part et d’autre, ni des informations apportées par les débats.

Elle est due uniquement à des appréciations divergentes portées par les deux cours d’appel sur l’autorité de l’arrêt de cassation du 12 juin 1996.

Pour la Cour d’Aix, cet arrêt a le caractère d’une décision de principe où il a été jugé qu’au sens de l’article 32, paragraphe 1 du décret du 14 octobre 1955 et donc également de l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 , le " disposant " est le titulaire actuel des droits qu’il est demandé de grever.

Aussi, est-ce après s’être appropriée cette interprétation qu’elle a fait application à l’espèce de la règle de droit qui en ressort.

Ce faisant, elle a constaté d’une part, que ces droits ne sont susceptibles d’être modifiés et ne peuvent donc être perdus qu’ " à raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publié " et d’autre part, qu’une assignation pour fraude paulienne n’est assimilable ni à un tel acte ni à une telle décision.

D’où elle a logiquement induit que "  le disposant ou dernier titulaire indiqué comme tel dans la requête en inscription ne pouvait être le précédent propriétaire, réel débiteur, à savoir Ph… B… "

A l’œuvre interprétative de la Haute juridiction, la Cour de Pau n’a pas porté la même révérence, ce dont elle a d’ailleurs tenu à se justifier en invoquant l’article 5 du code civil qui prohibe les arrêts de règlement.

En réalité, de manière implicite mais certaine, elle a désapprouvé le changement apporté par la Cour de cassation à la définition des pouvoirs des conservateurs.

Jusqu’alors, effectivement, la pratique en la matière était restée fidèle à la doctrine administrative qui, dès la formulation de la règle de l’effet relatif, avait tenu à limiter l’étendue du contrôle de son exacte application.

C’est ainsi qu’au n° 606 du répertoire Répertoire alphabétique de l’Eenregistrement, V° Hypothèques, à jour au 1er mars 1959, il est exposé que ce principe " "  ne permet pas le rejet d’une formalité, motif pris de ce que le disposant indiqué dans le document à publier n’est plus, d’après le fichier, le dernier titulaire du droit, même en cas d’inscription d’hypothèque ou de privilège ( article 2147 du code civil ), l’inscription étant acceptée, bien qu’elle ne soit pas utile ".utile."

A cette limitation, la Cour de Pau a marqué son attachement.

Certes, dans les motifs de son arrêt, elle n’a pas affirmé expressément que l’ancien propriétaire, présenté dans le bordereau d’inscription comme étant le disposant, avait cette qualité au sens de l’article 32 quoique n’étant pas le plus récent titulaire, mais elle a fait comprendre tout le mal qu’elle pensait de l’opinion contraire.

A cette fin, elle a cité in extenso la seconde phrase de l’article 34 § .2 du décret du 14 octobre 1955, rappelé que ce texte est toujours en vigueur, enfin, reproché à notre collègue d’avoir manqué à son devoir de précaution, de s’être contredit et d’être allé au-delà de l’obligation de vérification qui lui incombe.

Manifestement, aux hauts magistrats palois, il est apparu qu’il faut continuer à dissuader les conservateurs d’empêcher les inscriptions prises contre l’ancien propriétaire, ce qui implique nécessairement qu’ils doivent faire montre de la même réserve à l’égard des doubles chaînes de propriété.

Ce parti semble très audacieux, mais comme l’arrêt où il a été pris a été frappé d’un pourvoi, il aura l’avantage d’amener la Cour de cassation à se pencher à nouveau sur une intéressante question qui n’est pas qu’une difficulté de procédure mais touche à la définition même du rôle légal des conservateurs.

Quand ils assurent le contrôle de l’exacte application de la règle de l’effet relatif, faut-il seulement les charger d’empêcher des lacunes dans la publication de chacun des maillons formant les chaînes de transmission des droits immobiliers ou doivent-ils également, dans l’exercice de ce contrôle, écarter du registre public des documents manifestement inutiles ?

C’est là la question.

Ce nouvel examen, toutefois, se fera au vu du seul dossier de ce pourvoi puisque l’arrêt du 20 juin 2000 rendu en sens opposé par la Cour d’Aix est devenu définitif.

Contre lui, en effet, la banque M… ne s’est pas pourvue.

Rapprocher : Bull. AMC, art. 1764, 1791 et 1814.