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ARTICLE 850

RADIATIONS.

I. - Mainlevée notariée. Actes de constitution ou de mainlevée d'hypothèque.
Consentement par mandataire. Authenticité du mandat. Dérogation en faveur des mandats contenus dans les statuts ou les délibérations des sociétés :
A) Mandat au profit d'un tiers? Délibérations d'un organe directeur.
Dérogation applicable.
B) Substitution de pouvoirs. Dérogation inapplicable.
II. - Mainlevée notariée. Délégation de leurs pouvoirs par le président du conseil d'administration ou le directeur général d'une société anonyme portant sur un ou plusieurs objets déterminés. Régularité.

(Rép. Min. Justice, 3 décembre 1970)

Question. - M. Lebas expose à M. le Ministre. de la Justice que depuis la promulgation de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, certaines dispositions mériteraient d'être précisées. C'est pourquoi il lui demande quelle est sa position sur les points suivants : 1° l'article 113 de la loi réserve au Conseil d'administration le pouvoir d'autoriser son président à donner des cautions, avals ou garanties ; à quoi ce terme " garanties " s'applique. Il lui demande s'il s'agit seulement de garanties données à des engagements pris par des tiers ou bien s'agit-il en outre de garanties données à des engagements pris par la société elle-même. Si cette dernière interprétation était retenue, entreraient dans le cadre de l'autorisation du Conseil d'administration les hypothèques, gages et nantissements que le président serait amené à consentir sur les biens sociaux pour garantir des engagements de la société ; 2° le deuxième alinéa de l'article 1860 du Code Civil porte que les représentants légaux de la société peuvent consentir hypothèque au nom de celle-ci en vertu des pouvoirs résultant soit des statuts, soit d'une délibération des associés prise dans les conditions prévues aux statuts même si ceux-ci ont été établis par acte sous seing privé. Il lui demande ce qu'il faut entendre par représentants légaux de la société anonyme : ne sont-ils que les organes de direction définis par la loi - conseil d'administration ou directoire ou administrateur unique et président du conseil - ou bien doit-on admettre que cette qualité recouvre aussi un tiers étranger à la société que cette dernière, par l'un de ses organes délibérant, aurait investi de pouvoirs spéciaux ; 3° il lui demande si le Conseil d'administration d'une société anonyme peut, par une délibération ordinaire et non authentique, conférer à un tiers étranger à la société le pouvoir d'hypothéquer les immeubles de la société et de donner mainlevée d'une hypothèque consentie au profit de la société ; 4° il lui demande si le président du Conseil d'administration et si le directeur général d'une société dont les statuts sont muets sur la faculté ou non pour eux de déléguer leurs pouvoirs, peuvent valablement donner procuration à un tiers pour une opération particulière de la société pour laquelle ils sont eux-mêmes également habilités.

Réponse. - En vertu de l'alinéa 4 de l'article 98 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales " les cautions, avals et garanties donnés par des sociétés autres que celles exploitant des établissements bancaires ou financiers font l'objet d'une autorisation du Conseil dans les conditions déterminées par décret. Ce décret détermine également les conditions dans lesquelles le dépassement de cette autorisation peut être opposé aux tiers ". Les modalités de l'autorisation du Conseil d'administration ont été fixées par l'article 89 du décret n° 67-236 du 3 mars 1967.

Sur le point n° 1. - Sous réserve de l'interprétation souveraine des tribunaux, il semble que l'autorisation visée par ces textes n'est requise que pour couvrir les engagements pris par les tiers et non ceux de la société elle-même. Cette interprétation est certaine pour les cautions et avals qui sont des actes par lesquels une personne couvre les engagements pris par un tiers (art. 2011 et s. du Code Civil ; 130 du Code de Commerce). Il semble qu'il en soit ainsi pour le terme de " garantie " visé par le texte. Le législateur ne paraît en effet avoir eu l'intention de soumettre au contrôle du Conseil d'administration que les " garanties " consenties par la société à des engagements pris par des tiers et non ceux pris par la société elle-même (en ce sens rapport de M. Le Douarec n° 1368, p. 699).

Sur les points n° 2 et 3. - En vertu de l'article 2127 du Code Civil, l'hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par un acte passé en forme authentique devant notaire et les tribunaux ont jugé que la procuration donnée par le constituant à l'effet de consentir une hypothèque doit l'être en la forme authentique (civ. 29 juin 1881 et 23 décembre 1885). On interprète habituellement l'article 1860 du Code Civil (art. 4 de la loi n° 66-538 du 24 juillet 1966) comme ayant pour objet de dispenser de la forme authentique les pouvoirs conférés par les statuts ou les délibérations des associés. S'agissant d'une exception au principe général, l'interprétation restrictive de ce texte paraît s'imposer. En particulier la notion de " représentants légaux " ne semble concerner que les organes de représentation de la société. Il semble donc, sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, que les personnes ayant reçu délégation des représentants légaux sont soumises aux règles du droit commun exigeant un mandat authentique (réponse du Ministre de la Justice à M. Collette, Journal Officiel, Débats parlementaires A. N. du 15 mars 1969, p. 649) (1).

Sur le point n° 4. - Sous réserve de l'interprétation souveraine des tribunaux, la réponse paraît devoir être affirmative, Les pouvoirs accordés par cette procuration devront cependant être limités et concerner un ou plusieurs objets déterminés (J.O., 3 décembre 1970, Débats, Ass. Nat., p. 6096).

(1) Bull. A.M.C., art. 773.

Observations. - I. - L'une des questions posées était celle de savoir si le Conseil d'administration d'une société anonyme peut, par une délibération non authentique, conférer à un tiers étranger à la société le pouvoir d'hypothéquer les immeubles de la société et de donner mainlevée d'une hypothèque consentie au profit de la société.

Elle appelle les observations suivantes :

Une réponse affirmative s'impose si l'on admet, comme nous, pour les motifs exposés dans l'art. 835-I du Bulletin, que l'art. 69 de la loi du 2 juillet 1867 est encore en vigueur. Cette disposition ne fait pas, en effet, de distinction selon la personnalité du mandataire désigné ou selon qu'il s'agit d'une délibération des associés ou d'une délibération d'un organe directeur de la société.

La situation est différente si l'on considère, au contraire, que les sociétés commerciales sont désormais régies exclusivement par le deuxième alinéa de l'art. 1860 du Code Civil (loi n° 66-538 du 24 juillet 1966, art. 4: Bull. A.M.C., art. 689).

Prise à la lettre, cette disposition aurait une portée des plus restreinte. D'une part, elle ne viserait que les pouvoirs conférés aux " représentants légaux ", c'est-à-dire à des personnes qui tiennent leurs pouvoirs de la loi et n'ont nul besoin de justifier d'un mandat lorsqu'elles contractent avec les tiers au nom de la société. De plus, la dispense d'authenticité ne concernerait que les délibérations des associés. Or, lorsque la personne qui comparait au nom d'une société à un acte de constitution ou de mainlevée d'hypothèque n'est pas le " représentant légal " de cette société et qu'elle doit, par suite, justifier d'un mandat, il est exceptionnel que ce mandat lui soit conféré par une délibération des associés ; elle le tient presque toujours, soit du représentant légal (gérant, président du conseil d'administration ou du directoire, directeur général), soit de l'organe directeur (conseil d'administration ou directoire).

Interprété littéralement, le deuxième alinéa de l'art. 1860 du Code Civil aurait dès lors pour effet de retirer à la plupart des délibérations des sociétés le bénéfice de la dispense d'authenticité dont elles jouissaient sous le régime antérieur. Il mettrait ainsi les sociétés dans l'obligation de faire constater ces délibérations dans la forme authentique et ferait, par suite, renaître les complications et une source de frais auxquelles l'art. 69 ajouté à la loi du 24 juillet 1867 par la loi du 1er août 1893 avait eu précisément pour but de mettre fin.

On peut tenir pour certain que telle n'a pas été l'intention des auteurs de ce texte qui ont simplement voulu étendre aux sociétés civiles les avantages dont jouissaient déjà les sociétés commerciales.

C'est le motif pour lequel, en commentant le texte en cause (Bull. A.M.C., art. 689), nous avons opté pour une interprétation libérale consistant à lui attribuer une portée aussi étendue que celle que comportait l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867, c'est-à-dire à considérer que le pouvoir de constituer une hypothèque ou de consentir la mainlevée d'une inscription hypothécaire peut être conféré par les statuts ou une délibération en la forme non authentique, sans distinguer selon la personnalité du mandataire constitué ou selon qu'il s'agit d'une délibération des associés ou d'une délibération de l'organisme directeur.

Nous estimons, en conséquence, que la question posée comporte une réponse affirmative, même si l'on considère l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867 comme abrogé.

II. - Lorsque le représentant légal d'une société (gérant, président du conseil d'administration ou du directoire, directeur général) ou le mandataire constitué par un organisme directeur (conseil d'administration ou directoire) se substitue un tiers pour passer un acte de constitution ou de mainlevée d'hypothèque, l'acte qui constate cette substitution ne se présente jamais sous la forme d'une délibération de la société et n'entre par suite en aucun cas dans le champ d'application ni de l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867, ni de l'art. 1860, deuxième alinéa, du Code Civil.

Cet acte doit, par suite, être établi, en toute hypothèse, en la forme authentique (Bull. A.M.C., art. 718 et 773).

III. - On considère généralement que le mandataire constitué en vue de la radiation d'une inscription hypothécaire ne peut se substituer un tiers que si cette substitution est expressément autorisée par le mandant (Jacquet et Vétillard, V° Mandat, n° 6 ; Boulanger, t. I, n° 273 ; Précis Masounabe-Puyanne, 2° éd., n° 1169).

Toutefois, comme l'estime la Chancellerie, il faut admettre que les art. 113 et 115 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, sur les sociétés commerciales, en conférant aux présidents des conseils d'administration et aux directeurs généraux des sociétés anonymes " les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société " (Bull. A.M.C., art. 685, n° 7) les a, sans doute implicitement, mais cependant nécessairement, autorisés à se substituer un tiers. De toute évidence, en effet, en investissant de pouvoirs aussi larges le président du Conseil d'administration et le directeur général, la loi n'a pu leur faire une obligation de les exercer personnellement en toute hypothèse et, à cet effet, de se déplacer pour aller en tous lieux passer tous les actes intéressant la société qu'ils représentent. Toutefois, comme l'observe la réponse ministérielle, les pouvoirs délégués par le président du Conseil d'administration ou le directeur général doivent être limités à un ou plusieurs objets déterminés.

On peut donc considérer comme régulière la mainlevée d'une inscription hypothécaire profitant à une société anonyme, donnée par le mandataire du président du Conseil d'administration ou du directeur général de la société créancière, en vertu d'un pouvoir spécial.

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Mandat, n° 6, p. 444, et V° Société, n° 26, p. 672 et suiv. ; - C.M.L. 2° éd., n° 1169, 1243, 1295 et 1296.