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ARTICLE 604

PROCEDURE.

Inscription provisoire d'hypothèque judiciaire.
Radiation ordonnée par le Président du Tribunal.
Litige au sujet de l'exécution de la radiation.
Juge des référés incompétent.

ORDONNANCE DU PRESIDENT
DU TRIB. GR. INST. REIMS, 14 MAI. 1964.

NOUS PRESIDENT;

Attendu que suivant exploit de M L..., huissier à .... du 4 février 1964, la veuve Smett, défenderesse, tant ès noms qu'ès qualités, a fait signifier à la demanderesse une ordonnance par Nous rendue sur requête le 19 janvier 1964 l'autorisant à titre exceptionnel à prendre une inscription de nantissement sur le fonds de commerce de café-restaurant exploité commune de ... ainsi qu'une inscription d'hypothèque conservatoire sur la propriété sise à ... où se trouve exploité ledit fonds, le tout appartenant à la demanderesse ; qu'à la suite de l'ordonnance sus-rappelée l'inscription conservatoire de nantissement a été prise au greffe du Tribunal de Commerce de Reims, sous le n° 64.027 ; que l'inscription d'hypothèque a été publiée au bureau de la conservation des hypothèques de Reims, le..., vol. 1781; n° 46 ;

Attendu que, par ordonnance de référés par Nous rendue en date du 19 janvier 1964 (1) et sur justification que le prêt consenti par Serge Smett a été remboursé par la demanderesse le 16 septembre 1963, Nous avons ordonné qu'au vu de notre ordonnance, M. le Greffier du Tribunal de Commerce de Reims et M. le Conservateur des Hypothèques de Reims seront tenus de procéder à la mainlevée de l'inscription de nantissement et d'hypothèque conservatoire ainsi prises, ladite ordonnance étant assortie de l'exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution ;

Attendu que la veuve Smett a interjeté appel de cette ordonnance et a dénoncé cet appel à M. le Conservateur des Hypothèques et à M. le Greffier du Tribunal de Commerce, leur faisant défense d'opérer les mainlevées ainsi ordonnées ;

Attendu que, devant le refus de M. le Conservateur des Hypothèques de procéder à la mainlevée de l'hypothèque conservatoire sur présentation de la grosse de l'ordonnance de référé du 19 janvier 1964 (1), ce dernier, exigeant un certificat de non-appel, la demanderesse lui fit signifier ladite grosse en lui réitérant d'avoir à procéder sans plus tarder à cette mainlevée ;

Attendu que M. le Conservateur des Hypothèques persistant dans son refus la demanderesse demande de contraindre M. le Conservateur des Hypothèques et M. le Greffier du Tribunal de Commerce de procéder aux radiations ordonnées par notre ordonnance du 19 janvier 1964 (1) ;

Attendu que par assignation du 9 mai 1964 la dame Bourgeois nous demande, en outre, de déclarer commune à M. le Conservateur des Hypothèques ainsi qu'à M. le Greffier du Tribunal de Commerce cette ordonnance du 19 janvier 1964 (1) ;

Attendu que la veuve Smett, M. le Conservateur des Hypothèques de Reims ainsi que M. le Greffier du Tribunal de Commerce de Reims soulèvent notre incompétence au motif qu'une instance au principal est actuellement en cours ;

Attendu qu'il appert des documents produits qu'une instance aux mêmes fins est pendante devant le Tribunal de Commerce de Reims ;

Attendu que, le principal étant saisi, il échet de nous déclarer incompétent, tant sur l'assignation du 4 mai 1964, que sur celle du 9 mai 1964 et d'en ordonner la jonction ;

(1) Lire 19 février 1964.

Par ces motifs :

Joignons les deux instances ; - Nous déclarons incompétent ;

Condamnons la dame Bourgeois aux dépens.

Observations. - Une ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Reims du 19 février 1964 ayant ordonné la radiation d'une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire, le conservateur a refusé d'opérer cette radiation sans qu'il lui soit justifié, par la production du certificat de non appel (certificat qui ne pouvait d'ailleurs être produit, puisqu'un appel avait été effectivement formé par la créancière qui, au surplus, l'avait fait signifier au conservateur) que l'ordonnance était devenue définitive, bien que cette ordonnance ait été déclarée exécutoire nonobstant appel et caution.

En présence de ce refus, la débitrice l'a assigné devant le même Président, d'abord, en vertu d'une première assignation, pour le contraindre à opérer la radiation requise (par un moyen que la demande n'indique pas, mais qui ne pouvait guère consister qu'en une astreinte) et ensuite, aux termes d'une deuxième assignation, pour que l'ordonnance du 19 février 1964 lui soit déclarée commune.

Le Président du Tribunal n'a pas eu à statuer sur ces chefs de la demande, étant donné qu'il s'est déclaré incompétent parce que sa décision aurait préjudicié au principal (art. 809 du Code de Procédure civile), en raison de l'instance engagée aux mêmes fins devant le Tribunal de Commerce de Reims. Mais même en l'absence de cette dernière instance, il aurait dû rendre également une ordonnance d'incompétence.

D'une part, si le Président du Tribunal est habilité par les art. 54, trois derniers alinéas, et 55, 2° alinéa, du Code de Procédure civile à ordonner. dans certains cas déterminés, la radiation des inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire, la compétence qui lui est ainsi conférée, par dérogation à l'art. 2159 du Code Civil, revêt un caractère exceptionnel et doit être limitée aux cas prévus ; elle ne peut être étendue en particulier aux actions en justice qui mettent le conservateur en cause et, par suite, ne permet pas au président de déclarer commune au conservateur l'ordonnance qui, entre parties, a ordonné la radiation.

D'autre part, lorsqu'il est saisi, non plus en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure civile, mais en vertu des art. 806 et suivants du même Code, le Président du Tribunal ne rend alors que des décisions provisoires, non revêtues de l'autorité de la chose jugée et il n'est en aucun cas habilité à ordonner une radiation, V. Etude de M. Masounabe-Puyanne : Le référé et la publicité foncière, J.C.P. 1963-1-1794 § 7 ; V. ég. observations sous les art. 434 et 594 du Bulletin). Il est incompétent a fortiori pour juger un litige né entre un débiteur et le conservateur au sujet de l'exécution d'un ordre de radiation.

Enfin, à quelque titre qu'il statue, le Président ne peut condamner le conservateur au payement d'une astreinte. D'après l'art. 9 de la loi du 21 Ventôse an VII, cette condamnation ne peut être prononcée que par le Tribunal.

On notera, pour terminer, d'une part, que c'est à bon droit que notre collègue avait subordonné l'exécution de la radiation du 19 février 1964 à la justification, au moyen de la production du certificat de non appel, du caractère définitif de l'ordonnance, et ce bien que cette ordonnance ait été assortie de l'exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution (Bull. A.M.C., art. 385 ; Rapp. observations, § 11, sous l'art. 471) et, d'autre part, qu'un conservateur ne peut être mis en cause dans une instance en radiation entre parties à seule fin que la décision à intervenir lui soit commune (Etude de M. Masounabe-Puyanne, J.C.P. 1942-I-1702 ; Bull. A.M.C., art. 517 ; décisions citées au Bull. A.M.C., art. 551). La demanderesse aurait dû, par conséquent, être déboutée, même si elle avait porté sa demande devant la juridiction compétente.

Annoter : C.M.L. 2° éd. n° 1361-4°, 1372 et 2049 ; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation n° 26, page 400, et n° 43, pages 421 et 422.