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ARTICLE 1103

RADIATIONS.

Mainlevée notariée.
Inscriptions profitant à une Caisse départementale de Mutualité Sociale Agricole.
Conditions auxquelles doit satisfaire la mainlevée.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE ROUEN DU 14 JUIN 1977

Faits. - Les faits de la cause sont exposés dans le jugement du Tribunal de Grande Instance de Coutances du 28 février 1973, publié sous l'art. 946 du Bulletin.

La question posée était celle de savoir si le représentant d'une Caisse de Mutualité Sociale Agricole avait le pouvoir de donner valablement mainlevée d'une inscription prise au profit de cet organisme sans que l'acte de mainlevée constate l'extinction de la créance garantie. Le tribunal s'était prononcé dans le sens de la négative.

Sa décision a été infirmée par un arrêt de la Cour d'Appel de Caen du 1er mars 1974 (Bull. A.M.C., art. 987), lequel a lui-même été annulé par un arrêt de la Cour de Cassation du 16 juillet 1975 (Bull. A.M.C., art 1033 )

Statuant comme Cour de renvoi, la Cour d'Appel de Rouen a, par un arrêt du 14 juin 1977, confirmé dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Coutances.

Il est ainsi motivé :

" Attendu qu'au soutien de son appel devant la Cour de céans désignée comme Cour de renvoi, la Caisse de Mutualité Sociale Agricole de la Manche fait observer que si la Cour Suprême s'est prononcée sur les pouvoirs du Conservateur des Hypothèques, le problème reste entier de savoir si le directeur de la C.M.S.A. avait ou non la capacité de consentir la radiation de l'hypothèque dont s'agit ; qu'en l'espèce ce dernier a agi dans le cadre de la délégation de pouvoirs qui lui avait été consentie par le Conseil d'Administration de la Caisse, conformément aux dispositions de l'arrêté du Ministre de l'Agriculture en date du 29 décembre 1962, modifié par l'arrêté du 18 novembre 1963 et qui prévoyait expressément le pouvoir " de donner mainlevée de toutes inscriptions, saisies ou oppositions, avant ou après paiement " ; qu'ainsi, c'est à tort que le Conservateur des Hypothèques s'est opposé à la demande formée; que la Caisse conclut en conséquence à l'infirmation du jugement entrepris ;

" Attendu qu'à cette argumentation le sieur Cassagnau rétorque que, pour que le Ministre ait pu valablement conférer aux Caisses des pouvoirs de disposition qu'elles n'avaient pas reçus des textes qui les régissent, il eût fallu que ces textes aient donné au Ministre à cet effet une délégation spéciale; que tel n'est pas le cas du décret du 27 janvier 1961 qui n'a reconnu aux Caisses que des pouvoirs d'administration ; que les mainlevées sans paiement visées dans le modèle des statuts ne peuvent donc concerner que celles qui ne nécessitent pas de pouvoirs de disposition, c'est-à-dire celles qui sont la conséquence de l'extinction de la créance garantie par un moyen autre que le paiement ; qu'il conclut en conséquence à la confirmation du jugement dont est appel ;

Attendu enfin que, par conclusions subséquentes, la C.M.S.A. de la Manche fait observer que le Conservateur des Hypothèques, tout en contestant en définitive la légalité des arrêtés invoqués, se garde bien de conclure à un sursis à statuer en présence d'une question préjudicielle relevant de la compétence exclusive des juridictions administratives ;

" Attendu qu'aux termes de l'article 2157 du Code Civil " les inscriptions d'hypothèques sont rayées du consentement des parties intéressés et ayant capacité à cet effet... " ; que si, comme l'a relevé la Cour Suprême, la mainlevée consentie après paiement de la dette suppose la capacité de recevoir paiement, en revanche la mainlevée sans paiement exige la capacité de disposer d'un droit réel immobilier et d'y renoncer;

" Attendu en l'espèce que le décret n° 61-99 du 27 janvier 1961 sur la Mutualité Sociale Agricole a déclaré applicables aux Caisses de cet organisme les dispositions du décret n 60-452 du 12 mai 1960, sur l'organisation et le fonctionnement de la Sécurité Sociale ; que notamment les articles 9, 14 et 15 dudit décret ne confèrent au Conseil d'Administration et à son Président, ainsi qu'au Directeur par voie de délégation, que des pouvoirs généraux, et comme tels, limités aux actes d'administration ; qu'à défaut de disposition expresse les y autorisant, les dirigeants de ces organismes ne peuvent donc accomplir aucun acte de disposition à titre gratuit ;

" Attendu par ailleurs que le décret n° 63-379 du 6 avril 1963 relatif aux opérations financières et comptables des organismes de la Mutualité Sociale Agricole prévoit expressément en son article 10 que le directeur est responsable de l'application des mesures destinées à provoquer sans délai la liquidation et le recouvrement des créances de l'organisme; que ce texte, s'il confère à ce dirigeant le pouvoir de prendre toute mesure susceptible de garantir le recouvrement d'une créance de la Caisse et notamment celui de prendre une inscription hypothécaire qui consolide ses droits, lui dénie en revanche implicitement la possibilité de donner mainlevée d'une sûreté sans paiement, mesure qui, en privant sans contrepartie la Caisse d'une garantie qu'elle possédait, irait à l'encontre du rôle dévolu au directeur

" Attendu de même qu'aux termes de l'article 52 de ce même décret, l'agent comptable détient les titres de propriété et de créance dont il assume la conservation sous sa responsabilité ; qu'il ne peut donc se dessaisir d'une hypothèque, sans paiement préalable de la dette ;

" Attendu qu'il résulte ainsi de la combinaison des différents textes réglementaires susvisés que la mainlevée à titre gratuit d'une hypothèque prise à son profit, sans constatation de paiement préalable, est interdite à tout organisme de la Mutualité Sociale Agricole;

" Attendu il est vrai qu'au soutien de sa thèse, la Caisse de Mutualité Sociale Agricole de la Manche fait valoir que son directeur a agi dans le cadre de la délégation de pouvoirs que lui a consentie le Conseil d'Administration, conformément à ses statuts qui reprennent le modèle des statuts des caisses tel qu'approuvé par l'arrêté du Ministre de l'Agriculture en date du 29 décembre 1962 ; que ces statuts en effet donnent pouvoir au Conseil d'Administration de consentir " tous désistements de privilèges et d'hypothèques ainsi que la mainlevée de toute inscription avec ou sans paiement " ;

" Attendu toutefois qu'un arrêté ministériel ne saurait donner aux organismes concernés des pouvoirs plus étendus que ceux que leur reconnaissent les textes législatifs ou réglementaires qui les régissent; que la capacité qui leur est ainsi attribuée ne peut donc concerner que les seuls cas où il y aurait extinction de la créance garantie, sans acte de disposition et par un moyen autre que le paiement ;

" Attendu dans ces conditions que, pour approuver le refus opposé en l'espèce par le Conservateur des Hypothèques de Coutances, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le directeur de la Caisse demanderesse n'avait pas la capacité de consentir la mainlevée de cette hypothèque sans paiement ;

" Attendu toutefois que la Caisse de Mutualité Sociale Agricole de la Manche verse aux débats devant la Cour de renvoi deux lettres en date des 10 mars 1976 et 22 avril 1977 à laquelle est joint un relevé de compte du sieur LAMY Georges, d'où il résulterait qu'antérieurement à l'acte authentique de mainlevée et à la demande de radiation, la Caisse aurait été remboursée par LAMY du montant de la créance ayant fait l'objet de l'inscription hypothécaire ;

" Attendu que s'il en était ainsi, encore que le total des sommes recouvrées (1.091,87 F), ne corresponde pas exactement avec le montant de la créance garantie (1.321,75 F), toute la discussion qui s'est instaurée, tant devant les premiers juges que devant la Cour de céans, serait dépourvue d'intérêt et qu'on comprendrait mal qu'il ait fallu si longtemps à la Caisse pour faire état d'un élément aussi important qui modifie radicalement les données de la situation ;

" Attendu néanmoins, qu'à supposer ce paiement effectif, si le directeur responsable du recouvrement des créances de l'organisme social qui a reçu délégation du Conseil d'Administration est habile à consentir la mainlevée des inscriptions profitant à cet organisme après extinction de la dette, encore faut-il qu'il Justifie du paiement par la production d'une quittance régulièrement délivrée par l'agent comptable de la Caisse; que le sieur de Grammont n'ayant pu ou voulu satisfaire à cette obligation, en dépit de la demande qui lui en était faite, c'est à bon droit que le Conservateur des Hypothèques s'est refusé à procéder à la radiation requise ; qu'ainsi, même dans ce cas, la Caisse de Mutualité Sociale Agricole aurait dû être déboutée de sa demande. "

Observations. - L'arrêt rapporté, comme l'avait fait le jugement de première instance, consacre l'opinion que nous avons exposée dans l'art. 831 du Bulletin, selon laquelle le représentant d'une Caisse de Mutualité Sociale Agricole n'a pas le pouvoir de donner mainlevée d'une inscription profitant à cet organisme, lorsque la créance garantie par cette inscription n'est pas éteinte, soit du fait de son paiement constaté par une quittance de l'Agent comptable de la Caisse, soit pour tout autre motif.

La partie adverse a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 14 juin 1977.

La question ainsi posée à la Cour de Cassation a toutefois perdu une partie de son intérêt du fait qu'en vertu d'un décret n° 77-1283 du 9 novembre 1977 (J.O. du 24), complétant l'art. 14 du décret n° 60-452 du 12 mai 1960, concernant les organismes de Sécurité Sociale, mais dont les dispositions ont été étendues aux Caisses de Mutualité Sociale Agricole par le décret n° 61-99 du 27 janvier 1961 (V. Bull. A.M.C., art. 831, Observ.), le directeur d'une Caisse de Mutualité Sociale Agricole peut consentir la mainlevée d'une inscription à condition, lorsque l'acte de mainlevée ne constate pas l'extinction ou l'annulation de la créance, d'y avoir été autorisé par le Conseil d'Administration (Cf. Bull. A.M.C., art. 1093).

Annoter : C.M.L., n° 1248, 1280 et 1282.