Retour

Art. 1596

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif des formalités -
Immeuble acquis par deux époux communs en biens
Inscription d'hypothèque judiciaire contre la femme seule
Formalité rejetée
Validation du rejet par le Président du Tribunal de grande instance statuant dans l'exercice des pouvoirs conférés à ce magistrat
par l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955

Ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Castres (19 janvier 1993).

Faits : Mme A., épouse commune en biens de M. M... demeurait redevable, au titre de sa profession artisanale, de cotisations d'assurance vieillesse envers la CANCAVA. Cet organisme de sécurité sociale décerna à son encontre deux contraintes qui, à défaut d'opposition de la débitrice, comportaient tous les effets d'un jugement et, notamment, conféraient à la caisse le bénéfice d'une hypothèque judiciaire (art. 244 - 9 du code de la sécurité sociale).

Le créancier fit donc déposer, le 25 septembre 1992, au bureau de la situation des biens, un bordereau d'inscription d'hypothèque judiciaire qui, après avoir été porté au registre des dépôts, donna lieu, le 9 octobre 1992, à la notification d'une cause de rejet. Le conservateur estima en effet que, dans le bordereau, la désignation du propriétaire grevé, limitée à la seule épouse, était incomplète - contrairement aux exigences de l'article 2148 al. 3 - 1° du code civil - puisque l'immeuble, grevé dans sa totalité, paraissait être un bien commun d'après les énonciations du § "effet relatif". Faute de régularisation dans le délai d'un mois, le rejet définitif fut prononcé et notifié le 17 novembre 1992.

Cette décision fut déférée à la censure du Président du Tribunal de Grande Instance de Castres. Au soutien de sa demande, la CANCAVA se borna à faire valoir que les cotisations d'assurance vieillesse constituent une dette du ménage relevant des dispositions de l'article 220 du code civil et obligeant les deux époux.

Le conservateur exposa, quant à lui, d'une part, qu'il avait l'obligation de veiller à la concordance entre les renseignements fournis par le créancier et les renseignements figurant au fichier immobilier, d'autre part, que dans le cas d'espèce, la demanderesse qui prétend être créancière des deux époux se devait, en application des dispositions de l'article 2148 du code civil, de porter dans la rubrique "propriétaire grevé" le nom de Benoit M... et Béatrice A..., son épouse, et non seulement ce dernier puisque l'immeuble dépend de la communauté légale. La CANCAVA fut déboutée de son recours par une ordonnance du 19 janvier 1993 dont les termes sont reproduits ci-après :

"Il est constant que :

"-Benoit M. et Béatrice A. sont mariés sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts à défaut de contrat de mariage préalable à leur union célébrée le 5 juin 1982,

"- l'immeuble cadastré commune de P. section ..... acquis le 31 juillet 1985 par acte reçu par Me R., notaire à M., dépend de la communauté légale,

"- le 25 septembre 1992, la CANCAVA (qui prétend pourtant être créancière des deux époux) a déposé à la conservation des hypothèques de Castres un bordereau tendant à une inscription d'hypothèque judiciaire sur l'immeuble précité et portant dans la rubrique "propriétaire grevé" le seul nom de Béatrice A. épouse M. et ce, en contradiction avec la mention du fichier immobilier.

"Il apparaît, dans ces conditions, par application des dispositions des articles 2123, 2146 et 2148 du code civil ainsi que de l'article 34 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 que le conservateur des hypothèques qui a l'obligation d'assurer la concordance entre le bordereau déposé par un créancier et les mentions du fichier immobilier a rejeté à bon droit la formalité requise.

"Il convient, en conséquence de débouter la CANCAVA du recours formé à l'encontre de la décision de rejet notifiée le 17 novembre 1992.

PAR CES MOTIFS

"Le Président, statuant comme en matière de référé, publiquement et en premier ressort,

"Déboute la CANCAVA du recours formé à l'encontre de la décision de rejet du conservateur des hypothèques de Castres notifiée le 17 novembre 1992,

"Condamne la CANCAVA aux dépens."

Observations : L'article 34-1 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 énonce, à propos de l'effet relatif : "Lorsqu'il a accepté le dépôt et inscrit la formalité au registre prévu à l'article 2200 du code civil, le conservateur

- vérifie l'exactitude des références à la formalité antérieure,

- s'assure de la concordance du document déposé et des documents publiés depuis le 1er janvier 1956, tels qu'ils sont répertoriés sur les fiches personnelles ou les fiches d'immeuble, en ce qui concerne :

a)...

b) la qualité de disposant ou de dernier titulaire au sens du 1 de l'article 32, de la personne indiquée comme telle dans le document déposé,

c)..."

Toute inexactitude ou discordance est sanctionnée par la notification d'une cause de rejet (même article, al. 3).

Aussi convient-il de relever une cause de rejet sur le fondement de ce texte quand un vendeur aliène la moitié indivise d'un immeuble alors que, selon la documentation, il est propriétaire d'un quart indivis seulement de ce bien (Bull. art. 1413).

La question se pose de savoir s'il y a lieu de faire de même lorsque, dans un document déposé, un seul des époux mariés sous un régime de communauté apparaît comme le "disposant" de la propriété d'un bien commun. Le juge de Castres a tranché par l'affirmative en considérant qu'il y avait effectivement discordance, en l'espèce, entre les énonciations du bordereau relatives au propriétaire grevé et le fichier.

Précédemment, une ordonnance rendue le 20 juillet 1990 par le Président du Tribunal de Grande Instance d'Angoulême dans une affaire comparable avait décidé dans le même sens, pour les mêmes motifs.

Cette jurisprudence ne semble pas critiquable dans la mesure où le contrôle opéré par le conservateur, dans la situation évoquée, est limité à un fait purement matériel (la discordance entre le document déposé et le fichier) et reste étranger à toute appréciation au fond de la validité ou de l'efficacité du bordereau d'inscription.

Elle ne saurait, par suite, être opposée à l'affirmation doctrinale, toujours actuelle, selon laquelle " il n'est pas possible, sans faire le conservateur juge du fond du droit, d'appliquer rigoureusement les règles de l'effet relatif des formalités dès lors que se trouvent en cause les pouvoirs... ou les droits respectifs des époux sur les biens communs" (Bull. art. 768 II - 791 - 805 et 1437).

Nota.: Le bordereau déposé, qui ne limitait pas l'inscription à une fraction seulement de la propriété de l'immeuble, comportait deux affirmations antinomiques: il précisait successivement que l'immeuble était la propriété de l'épouse, puisqu'il avait été acquis par les deux époux. Le dépôt aurait donc pu être refusé, le document remis, qui contenait des clauses contradictoires, n'étant pas, en l'état, susceptible d'être répertorié au fichier immobilier. (cf. dans ce sens bull. art. 1484).