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Art. 1717

PUBLICATIONS D'ACTES

Actes soumis ou admis à publication

Acte portant quittance du prix d'une licitation immobilière et constatant à la fois la non-publication et l'extinction du privilège de copartageant

Acte n'entrant pas dans le champ d'application de la publicité foncière

Refus du dépôt justifié

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS (1ère CHAMBRE - 1ère SECTION)

DU 15 NOVEMBRE 1995

Faits

Les stipulations de l'acte reçu le 9 novembre 1993 par Me S.., dont la publicité a été vainement requise, ainsi que les motifs du refus, ont été relatés sous l'article 1652 du présent bulletin, auquel le lecteur est invité à se reporter.

Dans cet article, est également indiqué le moyen principal invoqué au soutien du recours formé par ce notaire devant le tribunal de grande instance de Paris.

Toutefois, à ce moyen fondé sur l'article 2199 du code civil, doit être ajouté celui tiré de l'inobservation de l'article 2200 du même code, d'où il résulterait qu'en tout état de cause, le document à publier aurait dû, le jour où il a été remis, être inscrit sur le registre des dépôts.

Quant aux chefs de demande, aux termes de l'exploit délivré le 18 janvier 1995, il sont les suivants : "voir dire que sur la signification du jugement à intervenir, Monsieur le Conservateur... sera tenu de procéder à l'inscription sur son registre de la publication requise par l'office notarial " S.. et R.. " de l'acte de quittance du 9 novembre 1993, à quoi faire il sera contraint et quoi faisant quitte et valablement déchargé".

Ultérieurement, il a, en outre, été conclu au prononcé de la nullité du refus et à ce que "la publication de la quittance soit ordonnée avec effet à la date de la première remise".

Il a également été demandé d'ordonner au moins que l'acte en cause soit inscrit sur le registre des dépôts.

Des conclusions ainsi présentées, son auteur a été entièrement débouté par les motifs reproduits ci-après :

"Attendu que si, aux termes de l'acte notarié de licitation du 21 mai 1986, les soeurs D.. avaient convenu que le prix, fixé à 150.000 F, à acquitter par le cessionnaire serait payable dans un délai de cinq ans à compter du 1er juin 1986 au moyen de soixante mensualités de 2.500 F chacune, les parties avaient également stipulé que la cessionnaire serait propriétaire et aurait la jouissance de la totalité du bien dès la signature de l'acte de licitation, la cédante renonçant en outre à la publication de son privilège du copartageant;

"Attendu que cet acte a été publié le 3 juillet 1986 au... bureau des hypothèques de Paris;

"Attendu que la S.C.P. S...R..., excipant, notamment, des dispositions des articles 34 et 74 du décret du 4 janvier 1955 et 2199 du code civil ainsi que des termes d'un arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 1968, soutient que le conservateur des hypothèques ne peut refuser le dépôt d'un acte dont la publication est requise que dans les cas limitativement énumérés par la loi et qu'il n'est pas fondé, ainsi que l'a fait en l'espèce le défendeur, à refuser de publier un acte du seul fait que l'opération juridique qu'il constate n'entre pas, par sa nature, dans la catégorie de celles dont la publicité est expressément prévue, à titre obligatoire ou facultatif, par les articles 35 à 37 du décret du 4 janvier 1955;

"Attendu que si l'arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 1968, laquelle était saisie des conditions dans lesquelles devait se faire une publication expressément prévue à titre facultatif, par l'article 37-2 du décret précité, rappelle les prescriptions impératives de l'article 2199 du code civil, qui veulent que lorsqu'il est saisi d'une demande de publication d'un acte susceptible d'affecter la situation juridique d'un immeuble, le conservateur ne puisse en refuser le dépôt que dans les cas limitativement énumérés par la loi, il ne s'ensuit nullement qu'il soit interdit à ce conservateur de refuser la publication requise d'un acte qui n'affecterait en rien la situation juridique des biens ou des droits immobiliers et dont la nature serait purement mobilière;

"Attendu que la publicité foncière a, en effet, pour but d'assurer la publicité des droits sur les immeubles et est destinée à prévenir les tiers de la transmission d'un droit de propriété ou encore de la constitution de droits réels ou de charges grevant la propriété d'un bien immobilier;

"Attendu que dans l'espèce soumise au Tribunal, force est de constater que le paiement à terme du prix de la cession qui n'a donné lieu à la prise par la cédante d'aucune garantie immobilière, ne concernait que les rapports personnels des parties à ladite cession et n'affectait pas, aux yeux des tiers, la situation juridique de l'immeuble, dont le transfert de la propriété avait été immédiatement constaté dans l'acte de licitation du 21 mai 1986, lui-même régulièrement publié le 23 juillet 1986; que la quittance de ce paiement est de nature purement mobilière et n'entre, par conséquent, pas dans le champ d'application de la publicité foncière;

"Attendu que le défendeur était donc fondé à en refuser le dépôt et la publication; que la demande tendant à obtenir, au moins, son inscription au registre des dépôts prévu par l'article 2200 du code civil, n'est pas non plus, pour la même raison tenant à sa nature mobilière, justifié;

"Attendu que la S.C.P. S...&...R... doit, dès lors, être déboutée de toutes ses demandes;

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

"Déboute la S.C.P. S... et R... de ses demandes;

"La condamne aux dépens et admet Me P..., avocat, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile".

Observations

La décision de refus attaquée a été prise le 9 décembre 1993 et confirmée le 22 décembre du même mois.A son encontre, Me S... a invoqué la violation des articles 2199 et 2200 du code civil. Mais aucun de ces moyens n'a été reconnu fondé.

I- L'article 2199

Cet article interdit aux conservateurs de refuser ou de retarder l'exécution d'une formalité sauf s'ils se trouvent dans l'un des cas où ils sont fondés à refuser le dépôt ou à rejeter une formalité, "conformément aux dispositions législatives ou réglementaires sur la publicité foncière".

Il s'ensuivrait, selon Me S..., que les usagers des bureaux des hypothèques sont en droit de faire publier n'importe quel document où un immeuble est désigné dès lors que ce document n'est pas expressément exclu des registres publics par une disposition de loi ou de règlement définissant l'irrégularité qui l'affecte et prescrivant, lorsqu'elle est constatée, d'opposer le refus ou le rejet.

Cette proposition serait exacte si, lorsqu'ils refusent ou rejettent, les conservateurs, à l'instar de juges pénaux, statuaient sur des infractions totalement étrangères à leurs propres activités. Mais ce n'est pas le cas.

En effet, ainsi qu'il résulte de l'article 878-1° du C.G.I., ces agents publics sont chargés de l'exécution des seules formalités entrant dans leurs attributions légales et qui sont celles "prescrites pour la publicité des privilèges et des hypothèques et des autres droits sur les immeubles".

Aussi, ne peuvent-ils que s'abstenir de prêter leur concours chaque fois qu'en déférant à la réquisition de publier, ou bien ils excéderaient les pouvoirs qui leur sont conférés, ou bien, à l'inverse, faute d'être mis en mesure de s'acquitter d'une obligation légale leur incombant, ils méconnaîtraient leur propre compétence.

C'est pourtant la proposition ci-dessus que Me S... avance et défend au soutien des actions menées par lui depuis 1990 afin d'empêcher les conservateurs de radier les inscriptions.

Aux radiations, ce notaire entend substituer la publication, sous forme de mentions en marge, d'actes emportant mainlevée ou caractérisant, sous une autre dénomination, telle celle de quittance et/ou de réduction de durée d'effet de l'inscription, le renoncement à la garantie hypothécaire.

A cette substitution, les conservateurs ne pouvaient acquiescer car l'exécution des formalités requises aurait eu pour résultat de supprimer le contrôle qu'ils doivent exercer en vertu des dispositions combinées des articles 2157 et 2158 (1er alinéa) du code civil.

Ce contrôle, depuis longtemps (1), est défini par la Cour de cassation comme étant celui de la validité du renoncement auquel dans l'acte authentique, dont une expédition est remise "au bureau du conservateur", la "partie intéressée" a souscrit.

Pour ceux qui doivent l'assurer, il n'a pas le caractère d'une simple faculté. Il est un impérieux devoir, appelé, s'il n'a pas été correctement rempli, à engager leur responsabilité civile personnelle si bien que lorsque le document à formaliser emporte un tel renoncement, aucune adjonction n'est susceptible d'être apportée à l'inscription concernée tant que sa radiation n'a pas été consentie et requise.

C'est ce que la Cour de cassation a jugé dans deux arrêts rendus successivement les 9 février et 13 juillet 1994 ( Bull. A.M.C., art. 1604 et 1630 ).

Certes, par rapport aux espèces qui, alors, ont été jugées, la présente affaire présente une singularité : le document qui a été remis contient la désignation d'un immeuble mais il ne relate aucune inscription. Il n'a pu, par suite, être demandé qu'il soit publié sous forme de mention en marge.

Le requérant a donc agi de la manière prévue à l'article 67-3 du décret du 14 octobre 1955 : pour opérer la publicité, il a présenté deux expéditions de l'acte de quittance dont l'une, établie sur la formule 3265, est destinée à être intégrée au registre des publications des droits sur les immeubles autres que les privilèges, les hypothèques et les saisies.

Pour s'y opposer, le conservateur ne pouvait citer aucune disposition législative ou réglementaire faisant défense de publier un document où il est donné quittance du prix d'une licitation immobilière et où il est constaté à la fois la non-publication et l'extinction du privilège de copartageant.

Devait-il, dès lors, laisser faire ?

A cette question, il ne peut être répondu que par la négative. En effet, en incorporant un tel acte dans le registre public après l'avoir répertorié et analysé sur le fichier immobilier, le fonctionnaire qu'est un conservateur serait sorti de la zone d'activité qui lui est impartie et qui coïncide avec le champ d'application de la publicité foncière.

Or, une quittance est de nature purement mobilière et même lorsqu'elle est celle du prix de vente d'un immeuble, elle n'affecte pas, aux yeux des tiers, la situation juridique de ce bien. C'est ce que, dans son jugement, le tribunal de Paris a fort justement relevé.

(1) Voir notamment l'arrêt de cassation du 12 juin 1847 (D.P. 1847-1-314) et celui du 16 juillet 1975 ( Bull. A.M.C., art. 1033)

Quant à la stipulation relative au privilège de copartageant et donc à un droit réel immobilier, elle n'est pas non plus susceptible d'être publiée.

C'est que, pour les privilèges et les hypothèques, la publicité, telle qu'elle est organisée tant au titre 18ème du livre troisième du code civil qu'au chapitre 1er du titre II du décret du 14 octobre 1955, est strictement limitée à l'inscription de ces sûretés au moyen de bordereaux contenant exclusivement les indications exigées à l'article 2148 de ce code.

Ces bordereaux enliassés et reliés forment le registre public des inscriptions et, dans leur marge, peuvent être mentionnées les modifications qui y sont apportées, lesquelles, cependant, ne sont autorisées à l'article 2149 du code civil qu'à condition de ne pas aggraver la situation du débiteur.

De la sorte, hormis la naissance des droits de privilège et d'hypothèque et certains changements - dont la radiation partielle ou totale - apportés à leur inscription, aucune information concernant ces droits ne doit figurer dans la documentation publique dont les conservateurs ont la garde.

C'est ainsi qu'une promesse d'hypothèque n'est pas publiable ( Bull. A.M.C., art. 1721 ) et il ne peut qu'en être de même de l'extinction d'un privilège non inscrit. Cette stipulation, en effet, n'est pas susceptible de donner lieu à la confection d'un bordereau, ni non plus à l'apposition d'une mention en marge d'une inscription, puisque celle-ci, précisément, n'a pas été prise.

En réalité, en exécutant la publication voulue par Me S..., notre collègue aurait fait un acte non compris dans ses attributions. Il ne pouvait, dès lors, que s'abstenir et il devait, comme il l'a fait, refuser le dépôt et ce, sans qu'il fût besoin d'un texte l'ordonnant expressément.

II - L'article 2200

Aux termes du premier alinéa de cet article, "les conservateurs seront tenus d'avoir un registre sur lequel ils inscriront jour par jour, et par ordre numérique, les remises qui leur sont faites d'actes, décisions judiciaires, bordereaux et, généralement, de documents déposés en vue de l'exécution d'une formalité de publicité".

Il en résulte, selon Me S..., que s'il y a lieu à refus d'un dépôt, cette décision doit être notifiée le jour même de la remise du document. Si cette notification n'est pas faite, le conservateur est tenu avant la fin dudit jour d'inscrire ce document sur le registre prévu à l'article 2200 et il n'y a place ensuite que pour l'engagement d'une procédure de rejet de la formalité.

Mais ainsi qu'il ressort des dispositions du second alinéa du même article, l'enregistrement dont il s'agit a pour seul but de conférer son rang à chaque formalité exécutée.

Dès lors, lorsque le document déposé n'a pas à être formalisé, sa non-inscription ne peut être regardée comme faisant grief au déposant, lequel, par suite, ne saurait être admis à la contester qu'à condition d'avoir, dans un premier temps, fait déclarer la nullité du refus.

Tel est le raisonnement suivi dans le jugement susrapporté : de ce que "le défendeur était fondé à refuser le dépôt et la publication", il est induit que "la demande tendant à obtenir, au moins, son inscription au registre des dépôts... n'est pas justifiée".

Au surplus, en l'espèce, le moyen tiré de l'inobservation des dispositions de l'article 2200, bien qu'expressément invoqué par le demandeur, manquait en fait : le refus attaqué, daté du 9 décembre 1993, a été prononcé le jour-même de la remise du document à publier. Il en a été de même pour celui, confirmatif, du 22 du même mois qui faisait suite à un envoi expédié la veille 21 sous pli recommandé.

CONCLUSION

Depuis plusieurs années, Me S... s'est attaché à apporter des changements au rôle légal des conservateurs. A cette fin, il utilise abusivement les facilités que lui donnent ses fonctions d'officier public. Dès le début de son entreprise, il a mis en cause nos collègues notamment sur les articles 2199 et 2200 du code civil. Une fois encore, l'autorité judiciaire a condamné ses arguties. Ce débouté, toutefois, n'a pas réussi à convaincre le demandeur qui a interjeté appel.

Affaire à suivre....

Annoter : Bull. A.M.C., art. 1652.