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Art. 1725

RADIATIONS

Mainlevée judiciaire

Ordonnance de référé, confirmée en appel, ayant enjoint de radier une inscription de privilège de prêteur de deniers et d'hypothèque conventionnelle

Auteur de ladite ordonnance ayant fondé sa compétence sur l'absence de contestation sérieuse

Cassation de l'arrêt d'appel pour violation de l'article 2157 du code civil.

ARRET DE LA COUR DE CASSATION ( 3ème CHAMBRE CIVILE )

DU 8 JUIN 1995

Faits :

Les circonstance de l'affaire ressortent des termes mêmes de l'arrêt dont les motifs et le dispositif sont reproduits ci-après :

Sur le premier moyen :

Vu l'article 2157 du Code civil;

Attendu que les inscriptions de privilèges et hypothèques sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet ou en vertu d'une décision du juge du fond rendue en dernier ressort ou passée en force de chose jugée;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un juge des référés a ordonné la mainlevée du privilège de prêteur de deniers de la Banque BFC... et de l'hypothèque conventionnelle prise par celle-ci sur un immeuble appartenant à la SCI L... ; que la BFC a relevé appel de cette décision :

Attendu que pour accueillir la demande de mainlevée formée par la SCI, l'arrêt, après avoir retenu que le premier juge s'est déterminé au moyen des dispositions expresses des articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile en relevant qu'il n'y avait en la cause aucune contestation sérieuse s'opposant aux prétentions de la SCI par référence clairement exprimée au contrat de prêt, la mainlevée de l'hypothèque étant la conséquence de la mise en application de ces textes, énonce qu'il se déduit de ces énonciations et constatations que l'ordonnance de référé doit être confirmée;

Qu'en statuant ainsi en référé sur la mainlevée d'un privilège et d'une hypothèque conventionnelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 avril 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Fort-de-France.

Observations :

L'exécution de la publicité des privilèges et des hypothèques repose sur la distinction opérée depuis 1804 à l'article 2196 du code civil entre les inscriptions subsistant à la date de certification des états de renseignements et celles qui, à la même date, sont périmées ou radiées.

Seules les premières figurent dans ces états.

Or, les personnes intervenant sur le marché immobilier en qualité d'acheteurs ou de prêteurs hypothécaires doivent pouvoir faire une entière confiance au caractère exhaustif des charges réelles révélées par le conservateur comme grevant l'immeuble auquel elles s'intéressent.

Pour cela, il faut notamment qu'elles aient la certitude qu'aucune inscription qui s'ajouterait aux charges qu'elles ont apprises n'est susceptible de leur être rétroactivement opposée même si elle était rétablie par une décision de justice.

Cette assurance leur est fournie par la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans ce cas, donne le pas à la foi due aux renseignements hypothécaires sur l'effet déclaratif des jugements.

Selon cette jurisprudence, en effet, un tel rétablissement ne peut être invoqué à l'encontre des usagers qui ont fait publier leur titre de propriété ou leur droit de privilège ou d'hypothèque entre la radiation d'une inscription et son rétablissement au registre public : Cass. civ. 26 janvier 1814, S. 1814, 1, 179; 9 décembre 1846, D. 1847, 1, 298; req. 11 juillet 1889, D. 1889, 1, 393; civ. 26 juin 1895, S. 1896, 1, 481, etc...

Ainsi, dans cette mesure, une radiation apparaît irréversible. Mais cette exception, apportée à la rétroactivité des annulations judiciaires, est en rapport avec l'exigence formulée à l'article 2157 du Code civil "d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée", c'est-à-dire qui, sous la seule réserve, pratiquement, du recours en cassation, confère également à l'ordre de radier, un caractère définitif.

L'antinomie, dès lors, apparaît complète entre ce que doit être un jugement de radiation et ce qu'est une ordonnance de référé, savoir une décision seulement provisoire n'ayant pas, au principal, l'autorité de la chose jugée (N.C.P.C., art. 484 et 488).

C'est pourquoi les présidents de tribunal de grande instance, statuant en référé, sont radicalement incompétents pour ordonner la radiation des inscriptions de droits de privilège ou d'hypothèque régis par les dispositions du titre 18 du livre deuxième du Code civil.

Leur incompétence, depuis longtemps, a été relevée dans des arrêts de cassation dont plusieurs sont cités au dernier alinéa du II de l'article 1353 du Bulletin.

L'arrêt du 8 juin 1995 s'inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence : il y est rappelé que le juge des référés civils n'a pas le pouvoir d'accorder une mainlevée d'hypothèque et il ressort des circonstances de l'affaire que cette incompétence est absolue.

En effet, en l'espèce, contrairement à ce qui a été considéré en première instance et en appel, la citation en référé n'a pu trouver sa base légale dans, comme il est dit à l'article 808 du nouveau code de procédure civile, l'absence de "contestation sérieuse".

Cette absence, même si elle est matériellement exacte, est inopérante si bien que la Cour Suprême a cassé l'arrêt d'appel, sans, à son sujet, exercer son contrôle.

Convient-il, par suite, que nos collègues refusent systématiquement de prêter leur concours chaque fois que la radiation requise est prescrite par une ordonnance de référé ?

Oui, en principe, comme il a été exposé récemment à l'article 1677 du Bulletin, avec toutefois les exceptions qu'afin d'éviter des retards et des frais inutiles, notre association a pris pour règle de suggérer.

Il est préconisé de radier, d'une part, s'il ressort clairement des motifs servant de support au dispositif de l'ordonnance que le créancier a renoncé au bénéfice de l'inscription (voir Bull. A.M.C., art. 1228, 1379, 1380, 1534) et d'autre part, lorsqu'il a acquiescé explicitement à la décision que, d'abord, il avait combattue (ibid. art. 1417, 1551).

Rapprocher : Bull. A.M.C., art. 1022 et 1112.